** Traumavertissement: Suicide, santé mentale. Des ressources d’aide sont listées à la fin de cet article.

Depuis mars dernier, j'ai arrêté de compter les conférences de presse auxquelles j'ai assisté avec l'espoir de bonnes nouvelles. J'ai aussi arrêté de compter le nombre de fois où j'ai vu mes proches pleurer, suite à l'annonce d'autres mesures toujours plus sévères.

Aujourd'hui, Québec est passé pour la première fois en zone d'urgence. Je préfère me dire que cette zone est rouge foncé, plutôt que noire, parce que noire sonne un peu comme la mort, comme une finalité que je refuse d'accepter. Pour moi, une zone noire, c'est une zone dans laquelle on se noie, on cesse de nager, on ne sort plus la tête pour respirer. Donc rouge foncé, ça fait peur, mais un peu moins, quand même.

À l'annonce du re-confinement, j'ai vu ma sœur de 14 ans s'effondrer. Ça ne m'était encore jamais arrivé. Un an plus tôt, j'ai vu mes parents perdre pied, quand ils ont dû fermer leur agence de voyages et vendre l'immeuble, congédier des employés. Je me suis vue, moi, peu à peu sombrer dans un isolement volontaire, qui s'est rapidement transformé en petite dépression.

Mais c'était la première fois que je voyais ma petite sœur pleurer d'épuisement.

Épuisée, alors qu'elle est en âge d'avoir son premier chum, d'apprendre à prendre l'autobus. L'âge de magasiner avec ses amies, de faire des conneries en classe ou de se chercher une place dans la grande cafétéria de son école secondaire. Elle ne devrait pas être terrorisée d'arrêter l'école pendant quelques jours. Elle ne devrait pas être mentalement à boute, fatiguée de jongler entre les différentes annonces qui bouleversent toujours son quotidien.

Je pense qu'elle comprend. Elle est quand même mature, ma sœur. Elle sait qu'elle doit faire attention, que des gens meurent, que la pandémie n'est pas une invention. Elle porte son masque, lave ses mains, s'empêche de nous présenter son nouveau chum, par peur qu'on se retrouve aux soins intensifs. Elle rêve de couper des fruits à son travail, de servir ses clients, de réussir ses examens dans une classe où elle n'aurait pas passé l'année au complet.

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Elle rêve de liberté et de normalité.

Ce soir, elle s'est effondrée, épuisée de toujours accepter sans broncher. Ce soir, elle avait le goût de hurler pour que ça cesse enfin, pour qu'on puisse retrouver notre quotidien. Et ça m'a fait mal au petit cœur de me dire que ma sœur devra, encore une fois, se priver de son cercle social.

J'ai peur pour elle, mais pour les autres aussi. Depuis le début du cauchemar, on ne compte que les victimes du COVID-19. Que ceux qui sont décédés, frappés par un virus qui nous dépasse. Mais j'aimerais que l’on compte aussi les autres victimes. Ceux qui sont morts dans leur solitude, isolée des autres, laissés avec leurs idées noires qui ont fini par gagner. Je veux qu'on parle des jeunes et des moins jeunes pris avec des problèmes de santé mentale.

Je veux qu'on parle de ceux qui ne parlent plus.

Ceux qui ont écrit une dernière lettre, faute de pouvoir s'adresser à leurs proches en face. Je m'inquiète pour ceux qui sont toujours là, mais qu'on ne voit pas. J'ai, moi-même, cherché à obtenir de l'aide quand mon pot de pilules ou que mon rasoir m'a semblé plus attrayant que de passer des semaines enfermées dans mon appartement.

J'ai passé la nuit à l'hôpital, effrayée de ce que je pouvais bien me faire quand ma colocataire n'était pas là. Alors que je pensais n'avoir personne vers qui me tourner, j'ai demandé de l'aide. On m'a répondu qu'une psychologue allait m'appeler. Deux mois plus tard, toujours prise avec mon mal-être, mais bien entourée, je n'ai reçu aucun appel. Au privé, j'ai essayé d'obtenir un rendez-vous.

On me promet toujours plusieurs mois d'attente, mais jamais d'aller mieux.

Alors je m'inquiète. Avec l'annonce de ce soir, il n'y a pas seulement ma sœur qui a craqué. Ce sont des milliers d'autres jeunes et moins jeunes, qui ne demandent qu'à être secourus. J'aimerais demander au premier ministre, ce qu'il compte faire pour les oubliés de la pandémie, les gens qui luttent tous les jours contre une force tout aussi sombre que celle du virus.

Pour terminer, si vous vous trouvez dans une situation semblable, ou avez un proche qui semble avoir besoin d’aide, n’hésitez surtout pas à aller chercher du soutien. Voici une liste de ressources qui sauront vous épauler. 

Ressources

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