Le nom Michel Marc Bouchard est signe, dans le domaine du théâtre, de grandes pièces et de succès. Depuis des années, ses oeuvres marquent les scènes d'ici et d'ailleurs. J'étais donc très excitée à l'idée d'aller voir sa nouvelle création, mise en scène par Serge Denoncourt au Théâtre du Nouveau Monde. Ce duo, signant une pièce originale, ne pouvait qu'être signe d'une belle soirée. Je ne m'étais pas trompée.

Dès les premières minutes de la pièce, lors d'un monologue servi aux spectateurs en coup de poing, on comprend que Mireille est une femme au passé trouble. Cette enfant qui s'infiltrait dans les maisons de ses voisins pour les observer dormir aurait vu des choses de trop. Mais quoi? Quand? Comment? Et surtout, qu'est-il arrivé cette fameuse nuit? Nous le découvrirons lentement, mais on oublie parfois que c'est cela qu'on veut savoir tant chaque détour détient une parcelle d'histoire qu'on a envie d'entendre. Presque deux heures de représentation et on en redemanderait plus.

Michel Marc Bouchard sait, comme peu d'autres auteurs, présenter le Québec moderne tel qu'il sait, dans toute sa beauté et sa laideur, dans ses différents registres de langues et dans ses différences. Originaire d'Alma (auparavant Saint-Cœur-de-Marie), c'est là que l'auteur nous amène dans cette nouvelle oeuvre. On découvre rapidement une famille brisée par le poids des souvenirs, mais surtout celui des secrets et des non-dits. Les retrouvailles entre une fratrie ne sont pas de tout repos, là, alors que leur mère vient de mourir. On rencontre d'abord Mireille, thanatopractice connue à travers le monde, qui revient dans son patelin afin d'embaumer sa mère. Rien de moins. Celle qui n'a pas remis les pieds à Alma depuis dix ans, reverra, tour à tour, ses trois frères avec lesquels elles aura des confrontations remplies d'amour et d'incompréhension. Le nom de Laurier Gaudreault reviendra maintes fois sans qu'on en comprenne le sens, le lien ou la raison. On reconnaît ici le style de Bouchard: une famille brisée dont la personne exilée détient un secret qui changera le cours de leur vie.

La palme de l'interprétation revient à Magalie Lépine-Blondeau. Bien que son personnage, celui de Chantale, la conjointe de Julien Larouche, est plus secondaire, c'est à elle qu'on s'attache automatiquement. Elle nous fait sourire et on croit à cette femme d'Alma pleine de stéréotypes qui va à Cancun chaque année. L'accent, la démarche et les soupirs, tout y est. Eric Bruneau, qui joue Denis Larouche, n'arrive qu'à la moitié de la pièce, mais sa présence scénique étonne et surprend. Il possède la scène en entier et on a du mal à détacher nos yeux de son personnage à la voix grave. J'ai toujours aimé le jeu de Julie Le Breton, comédienne exceptionnelle de sa génération. Toutefois, ici, on s'attache moins à Mireille, le personnage principal. Le jeu avec l'accent trop parfait se comprend, mais elle semble un peu trop robotique par moments. Était-ce le désir de l'auteur et du metteur en scène? Peut-être, mais je l'aurais préféré plus humaine, afin de mieux ressentir sa peine et ses cassures. Mathieu Ricard, Patrick Hivon et Kim Despatis jouent bien et appuient à merveilles leurs collègues. Une distribution en or!

Le TNM sait surprendre, aussi, par ses décors. On n'est pas déçu ici, on se croit vraiment dans une salle pour embaumer les morts. J'adore les fausses fenêtres où l'on voit apparaître la forêt comme pour montrer l'isolement que peuvent vivre les gens. C'était poétique et visuellement captivant.

La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé est une pièce que je conseille à tous. Vous continuerez d'y penser bien après que le rideau sera tombé. Vous serez hanté par les réflexions qu'amène la finale et vous vous questionnerez sur la manière dont vous auriez réagi dans la position de chacun des personnages. Vous aurez envie de crier haut et fort que les secrets aussi grands ne font que nuire, mais vous saurez que cette réalité est bien trop vraie dans trop de familles. Je n'en dis pas plus, à vous de découvrir l'univers des Larouche, si bien raconté par Michel Marc Bouchard.

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