C’est ce qui m’est venu en tête la première fois que j’ai rencontré mes élèves.

Moi qui avais toujours été habituée d’enseigner aux « grands ». Je venais tout juste de recevoir mon poste en deuxième année. Je savais que je me retrouverais face à une toute nouvelle réalité, mais je n’avais pas réalisé à quel point.

Bien vite, j'ai ressenti le besoin de les protéger, les materner, les couver même. Ces petits cœurs qui avaient une capacité d’attention bien légère, qui me réclamaient rapidement leur collation ou leur récréation et qui me parlaient souvent hors contexte lors des moments d’enseignement.

Je vais au verger chercher un sac de 20 pommes et j’en cueille 5 de plus. Combien ai-je de pommes?

Lily lève la main.

Moi je n’aime pas les pommes. C’est très difficile de les manger avec mon appareil dentaire dans le palais.

Souvent, je dois les recadrer afin qu’ils reviennent sur le sujet de l’enseignement. Ils ont 7 ans, c’est tout à fait normal. Leur esprit est un puits de créativité, de souvenirs et de spontanéité.

Je ne calcule plus le nombre de câlins, de dessins, de « Je t’aime » que j’ai reçus depuis le début de l’année. Certains essaient carrément de s'asseoir sur moi lorsque je suis assise à mon bureau. 

« Moi, je veux toujours être collé à toi », me disait l’un d’entre eux. 

J’ai beaucoup de difficulté à gérer toute cette affection qu’ils me donnent et à la fois prendre un rôle plus autoritaire et sérieux face à eux.

Instinctivement, j’ai l’impression que ces moments contribuent davantage à leur développement que lorsqu’ils sont bien concentrés sur une tâche de mathématiques. 

À 7 ans, tu as tellement besoin d’amour.

Je ressens, dans le plus profond de mon être, leur besoin de jouer et d’explorer. Je sens que ce besoin exige souvent une plus grande liberté que ce que le contexte de classe leur offre. Pour le moment, malgré ma grande propension à rendre les apprentissages le plus ludiques possible, à les amener au parc près de l’école et à courir après eux pendant la récréation, je ressens un grand écart entre la réalité et mon intuition pédagogique.

Source de l’image : Éloïse Denis

Tout cela m’amène au jour où je leur ai remis leur première évaluation.

J’ai eu un choc.

Il y a toujours des échecs et des évaluations qui sont moins bien réussies. C’est un peu innocemment que je leur ai remis. Et là, mon cœur s’est serré devant la réaction de certains élèves.

De grands pleurs, de la détresse, des têtes entre les mains, des visages abattus.

7 ans.

J’ai commencé à leur expliquer que la note n’était pas représentative de leur capacité personnelle et blablabla du discours que tous les enseignants racontent le plus honnêtement possible à leurs élèves. Tout pour atténuer leur tristesse. Rien n’y faisait.

Je sentais cette détresse au plus profond de mon être. J’en avais mal.

Qu’est-ce que j’ai fait là? Et je me suis demandé : Pourquoi? Pourquoi est-ce qu’on évalue des enfants à 7 ans? Des enfants qui sont en train de bâtir leur estime personnelle et leur image de soi.

Certainement, la majorité des enfants réussissent bien et ont eu l’égo bien gonflé par cette évaluation. Mais certains d’entre eux ont eu cet égo complètement démoli.

J’ai repris les examens.

On oublie cet examen, on s’en va jouer dehors !

Lorsque je suis revenue chez moi, j’ai commencé à lire et à lire et à lire. Je voulais comprendre pourquoi on évaluait des enfants qui n’avaient pas encore la capacité de relativiser les choses. Et j’ai réalisé qu’il n’y avait pas vraiment de raison, sinon que celle qu’on l’a toujours fait. Dans certains pays du monde, comme la Finlande, ce système a été remplacé.

À 7 ans, recevoir un échec scolaire, C'EST LA FIN DU MONDE.

La fin du monde des jeux, du ludique, du plaisir, de la légèreté, de la douceur.

LA FIN DE L’ENFANCE.

Non, pas pour tous les enfants, évidemment. Mais pour certains, oui. Pour ceux qui sont le plus amochés par des troubles d’apprentissage ou de comportement. On les martèle encore plus et ça sera comme ça tout le long de leur parcours scolaire. Car, au risque d’en choquer plusieurs, l’enfant qui est en échec en deuxième année a de grandes chances de l’être l’année suivante et l’autre d’après et celle qui suivra ensuite.

Ça me choque qu’on ne pense pas à eux. Juste parce que ce n’est pas la majorité.

Abolissons les évaluations au primaire, laissons les enfants apprendre sans ce stress, cette pression et cette destruction sur l’estime de soi.

Ne détruisons pas l’enfance pour certains enfants.

Ils sont si petits.

Source de l'image de couverture : Unsplash
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