C'était le 5e samedi d'une série de plusieurs, assise dans ce petit pub de la rue Masson. Il y avait ce serveur qui assistait, depuis quelques semaines, à tous mes rendez-vous Tinder. Il passait pour m'offrir quelque chose à boire pendant que j'attendais l'élu de la soirée. Je lui ai lancé ce regard de: "Je sais que tu sais, mais s'il te plaît, faisons comme si personne ne savait". Faisons comme si je n'avais pas l'air si pathétique. Faisons comme si j'avais l'air confiante d'attendre quelqu'un que je ne connais pas, dans le fin fond d'un bar à Montréal avec beaucoup trop de rouge à lèvres et de mascara.

Cela faisait vingt minutes que je l'attendais. Il m'avait envoyé un texto pour me dire qu'il serait en retard. Cela sonnait comme l'éternel prétexte du gars qui allait "choker", mais vingt minutes de retard dans la métropole, ce n'était pas si catastrophique. Puis, à l'échelle de l'univers, ce n'était rien du tout. C'est en usant de ma dernière réserve de patience que j'ai entendu la porte du pub s'ouvrir. Il était dans le cadre de porte. « Merde ! Il ne ressemble pas à sa photo de profil, ai-je pensé.»

Il me salua en me donnant deux becs sur les joues. Le serveur nous demanda si nous étions prêts à commander.

- « Je prendrais un verre de vin rouge SVP, corsé ! » Je n'y connaissais absolument rien, mais je voulais quelque chose de fort. Cela me ferait oublier l'idée que je m'étais faite d'un beau grand brun aux épaules larges, qui je dois dire, me plaisait bien.

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Pour sa part, il commanda un whisky.

Le marathon de questions clichées et déjà bien usées commença immédiatement: Que fais-tu dans la vie? Ça fait longtemps que t'es célibataire? T'es originaire de quel endroit?

- « Du Lac-St-Jean ai-je répondu, en croyant qu'il trouverait cela exotique. Et toi? »

- « De la Grèce. »

Il me battait à plate couture. Il en était exagérément fier. Il me raconta passionnément les voyages qu'il faisait tous les étés pour aller voir sa famille en Grèce. Il avait un amour profond pour la mer, les paysages grandioses et pour la bonne vie...Pour sa personne aussi. Il était absent lorsque la modestie est passée chez lui.

J'eus le temps de boire quelques verres de vin, en écoutant son récit qui n'avait pas de fin. Après avoir avalé ma dernière gorgée, je me suis levée pour aller aux toilettes. Le trajet sembla interminable, j'avais trop bu. Face au miroir, mes quelques verres de vin avaient effacé mon rouge à lèvres et leur nouvelle teinte violacée donnait l'impression que j'étais en pleine hypothermie. J'applique alors une nouvelle couche avant de retourner à la table. L'alcool à son plein potentiel, je sors des toilettes avec la vision un peu floue et la tête dans une galaxie lointaine.

Il était parti. Comme ça. Sans payer l'addition. Pas de "Bye, on se rappelle!", non rien du tout, nada. J'ai pris mon sac à main qui trainait sur la petite chaise au bar, j'ai payé cette facture aussi élevée que si j'avais acheté le vignoble au complet et je suis sortie. C'était le 5e samedi d'une série de plusieurs, assise dans ce petit pub de la rue Masson.

Le 5e et le dernier.

Non, mais un verre de rouge SVP, corsé!

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