Être l’aînée de la famille, ça apporte son lot de responsabilités. Être l’aînée de plusieurs années? Encore plus de responsabilités, mais également plusieurs dilemmes. Je me surprends souvent à naviguer entre le rôle de mère et de grande sœur, le rôle d’amie et de protectrice, entre tenter de responsabiliser ou tout simplement d’écouter. Des fois, je ne cacherai pas que ça m’épuise, et je sais que je les épuise également.

En grandissant, je n’ai évidemment pas eu de grande sœur à qui me confier, emprunter des vêtements ou demander conseil. J’ai donc toujours voulu offrir à mes sœurs et mon frère ce qui m’avait tant manqué, en me mettant beaucoup de pression pour accomplir parfaitement la tâche. Je veux être une bonne influence pour eux, et même s’ils ne le savent pas, je me base là-dessus pour plusieurs de mes choix. Vous vous doutez que cela ne s’est pas toujours passé comme prévu.

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Lorsqu’ils étaient jeunes, j’étais en pleine adolescence. Je me préoccupais donc davantage de mes amies, de mon compte Skyrock et de changer les émojis dans mon surnom sur MSN que de jouer aux PlayMobils ou d’écouter Annie Brocoli pour la troisième fois cette semaine avec eux. Nos interactions se résumaient principalement à ma fratrie qui cogne à ma porte pour que je vienne jouer avec eux, et à moi qui les vire de bord. Si vous connaissez Frozen, imaginez-vous Anna qui demande inlassablement à sa grande sœur de venir construire un bonhomme de neige avec elle. Jusqu’au jour où, ils ont cessé de cogner. En vieillissant, j’ai développé une grande culpabilité face à cela, et j'ai tenté de compenser en étant plus présente. Ayant eux-mêmes atteint l’adolescence, ils me trouvent un peu intense, et m’invitent chaleureusement à «débuzzer».

Être l’aînée de plusieurs années, c’est avoir l’impression d’être quelque peu séparée du reste de la famille. C’est d’avoir été dans un party alors que les autres faisaient une soirée cinéma, c’est d’avoir passé tes examens du ministère pendant que la plus grande responsabilité de ta fratrie était de ne pas oublier de vider leur boîte à lunch en arrivant de l’école, c’est d’avoir été enfermée dans ta chambre pendant que les autres jouaient à cache-cache dans la maison. C’est de sentir qu’il y a toute une partie de ta vie qu’ils ne connaissent pas de toi, et que tu ne connais pas d’eux. C’est d’avoir parfois l’impression de ne pas se connaître, point, mais surtout d’avoir manqué des moments tellement importants. C’est ce petit pincement au cœur que l’on ressent quand on prend conscience du nombre de photographies sur lesquelles tout le monde sourit, sauf nous, parce que nous n’y figurons pas…

Ce décalage entre les âges emmène son lot de dilemmes et d’émotions. Parfois, je dois prendre un temps pour m’arrêter et me rappeler ce que c’était d’être ado, avec tout ce que ça implique, dont les décisions douteuses et les émotions en dents de scie. Je dois me répéter que même si on ne se parle pas durant un moment, que même si je ne sais absolument rien de ce qui se passe dans leur vie ou que je leur tape sur les nerfs à chaque fois qu’on se parle, ça ne veut pas dire qu’ils ne m’aiment plus autant que lorsqu’ils m’écrivaient des messages d’amour sur mon mur Facebook à 8 ans, que c’est juste normal et qu’on s’aime, mais différemment. Il n’est pas toujours aisé de rester centrer dans son ‘’rôle de grande sœur’’ lorsque l’écart d’âge est aussi important. Tu n’es pas la mère. Tu n’es pas l’amie. Mais tu n’es pas non plus la sœur du même âge. Pour être franche, je ne sais plus si je suis censée simplement les écouter, me taire, et les regarder frapper un mur, parce que je sais qu’ils doivent apprendre de leurs erreurs, ou si je dois leur partager mon avis et mes inquiétudes. La vérité, c’est que mes temps de réflexion sont beaucoup trop longs lorsque vient le temps de leur parler ou de leur écrire. Il y a plusieurs ‘’Moi’’ au tableau de bord qui s’échangent des informations et tentent de prendre la meilleure des décisions. Je finis donc toujours par réécrire 15 fois le même message, et vivre dans le doute après l’avoir envoyé. «Est-ce que j’aurais dû donner mon opinion?», «Est-ce que j’aurais dû simplement ne rien dire, malgré mon profond malaise?», «Est-ce que ma mère va me déshériter si elle apprend que je le savais, mais que je ne lui ai rien dit?». Je sais que je les gosse souvent, mais j’essaie et je fais de mon mieux.

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Si vous êtes dans la même situation que moi, peut-être avez-vous aussi l’impression que la médiation entre la fratrie et notre mère devient un peu notre responsabilité avec le temps? J’ai l’impression de devoir rappeler à ma mère c’est quoi être ado et de les laisser faire leurs propres choix même si on ne les approuve pas vraiment (ou même du tout!). De l’autre côté, je sens que je dois leur rappeler que les intentions de ma mère sont bonnes, même si la formulation est parfois maladroite et/ou beaucoup trop répétitive. J’ai l’impression que si je ne défends pas l’un ou l’autre des partis, je ne remplis pas mon rôle. Au final, je me sens donc toujours seule dans mon équipe, à tomber sur les nerfs de l’un comme de l’autre.

Malgré tout, je crois qu’il y a un certain privilège à être l’aînée de plusieurs années. Nous sommes passés par tellement de choses, qu’il nous devient plus facile de pouvoir les guider, que ce soit au niveau des études ou du loyer. Même s’ils ne veulent pas toujours de notre aide, le simple fait de savoir que nous sommes en mesure de leur donner est satisfaisant. Je ne sais pas si c’est votre cas, mais je me sens moins impuissante que si j’avais leur âge… ou celui de ma mère. J’ai aussi le privilège de les voir grandir et évoluer, en ayant un regard plus objectif, et de les voir devenir doucement de jeunes adultes, dont je suis incroyablement fière.

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Je suis peut-être trop intense, c’est vrai, mais vaut-il mieux en faire trop ou pas assez ? Car la balance, malheureusement, je ne l’ai pas encore trouvé. Quand je constate à quel point je peux être affectée par ce qui se passe dans leur vie, alors que je ne suis que la sœur et non la mère, je comprends mieux pourquoi on dit qu’être parent donne des cheveux blancs.

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