Aujourd’hui j’ai la chance de m’entretenir avec Annick Bissainthe, une femme bien inspirante pour plusieurs raisons. Sans plus tarder, je te laisse découvrir pourquoi!

Parle-nous un peu de toi. Qui est Annick Bissainthe, que fait-elle dans la vie?

Je suis née en Haïti et j’ai immigré au Canada dès l’adolescence. J’ai fait la majorité de mes études à Montréal. Je suis sociologue de formation et j’ai une passion pour le numérique. Je suis présentement à la maîtrise à l’institut National de Recherche Scientifique (INRS) à temps partiel dans le programme de mobilisation de connaissances. Mon focus est d’aider les compagnies à gérer une meilleure transformation numérique. La Covid-19 nous a démontré à quel point c’est important de faire ce virage numérique tout en répondant aux besoins de nos clients. De plus, je tiens à démontrer comment nous pouvons utiliser les plateformes numériques pour transférer les connaissances soit dans les milieux professionnels ou dans notre quotidien.

Je travaille à temps plein dans une compagnie tech, Indeed Canada en tant que gestionnaire de comptes clients. Je dirais que je suis une entrepreneure de cœur, récemment j’ai démarré aussi mon agence My Social Interests Digital ou MSI Digital sur l’optimisation des sites web par moteur de recherche ou SEO en anglais après cinq années d’expériences dans le monde du marketing numérique. J’aime ça me tenir occupée. 

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Je suis une passionnée des danses sociales comme le Kompa qui est l’une des danses classiques d’Haïti, la Kizomba d’Angola, la Salsa & Bachata de la République Dominicaine et certains pays de l’Amérique Latine. J’aime cuisiner des recettes véganes, végétariennes et santés. Je tiens à avoir une alimentation et une vie saine en restant active. J’adore le sport et surtout le barre workout qui a une base en ballet classique.

On remarque que tu as lancé une série de balados entourant divers sujets sur l’immigration. Qu’est-ce qui t’a motivée à te lancer dans ce projet, et pourquoi l’immigration est-il un sujet qui te tient à cœur?

Oui, j’ai commencé mon balado un peu avant le confinement. L’idée m'est venue après avoir participé à la série télé de Gregory Charles en hiver passé sur l’immigration qui s’appelle, le Vrai Nouveau Monde. J’ai donc partagé mon histoire d’immigrante tout en mentionnant les obstacles auxquels j’ai dû faire face. Il a été important pour moi de partager les étapes de mon intégration au Québec. Suite à la série, j’ai reçu des messages positifs de personnes d’origine Québécoise et Haïtienne. J’ai ainsi compris l'importance de ma représentation à la télévision. Plusieurs personnes se sont reconnues dans mon histoire, et surtout ça a aidé aux citoyens du pays d’accueil à mieux comprendre ou même de mieux visualiser ce que c’est le parcours d’immigrant(es). C’est ainsi que j’ai décidé de partir mon balado sur le dilemme des immigrants. Il m’a été clair que notre voix devait être amplifiée et qu’il y a une demande énorme à ce sujet.

Après avoir étudié en sociologie, je réalise que les lectures de mes cours ont souvent été axées sur des auteurs majoritairement masculins et venant de la France, d’Angleterre ainsi que de l’Allemagne. Souvent l’auteur de sujets touchant les communautés racisées était un Anglais par exemple. Il est un de mes objectifs de créer une plateforme pour nous permettre de partager nos réalités. 

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Ce sujet me tient particulièrement à cœur parce que premièrement je suis une immigrante mais aussi, ça fait simplement partie de mon identité. Annick Bissainthe sans l’immigration n’est plus la même.

Quels autres sujets aimerais-tu explorer dans le futur pour d’autres épisodes?

Je cherche à faire des entrevues avec tous(tes) immigrant(es) qui ont une histoire à raconter et j’aimerais surtout avoir des invités de différentes origines. Ce que j’ai appris après la série télévisée du Vrai Nouveau Monde c’est que nous partageons un point commun entre immigrants. Ma définition d’immigrante n’est clairement pas celle qui est biaisée; quand je parle d’immigration, je parle au sens propre, je parle de quelqu’un qui a quitté son pays pour venir habiter de façon permanente dans un autre pays. Alors, immigrant(e) pour moi inclut le Nigérien, le Français, l’Italien, l’Haïtien, le Marocain, le Congolais, l’Indien d’origine, etc. On a tendance à ne pas voir les Européen(es) comme étant immigrant(es). C’est le stéréotype que je compte clarifier avec mon balado. Nous faisons chacun face à nos privilèges et inégalités différemment. À Montréal, oui nous voyons la diversité mais encore chacun reste dans sa zone de confort et regrouper entre eux/elles.

Mon objectif est de créer un petit pont en facilitant la conversation entre tous types d’immigrants et les personnes du pays d’accueil. Je pense qu’il y a un fossé entre ces deux réalités et ceci accentue le développement de la peur dans les deux parties.

 En outre, j’aimerais surtout démontrer que nous vivons dans un monde de diversité avec des points communs tout comme des différences. Nous pouvons apprendre de chacun et respecter les uns et les autres. Par exemple, quand on retourne dans l’histoire linguistique avec le Français québécois, on réalise à quel point il y a beaucoup de références au créole Haïtien. Les deux langues sont à l’origine de l’ancien français. Le parlé québécois a été transformé pour que les colons Français ne comprenaient pas. Pareille histoire pour le créole.

 Tout cela pour dire que j’ai pour but de me renseigner sur des sujets délicats et de transférer mes connaissances à travers la plateforme numérique de mon balado. Je trouve que les gens prennent position sur des sujets importants sans forcément s’éduquer et écouter les personnes du groupe en question.

Dans un de tes épisodes, tu parles un peu du fait d’être immigrante sur ton sens de l’identité. As-tu parfois prouvé des difficultés à t’orienter ou te situer entre deux cultures distinctes?

Oui. Pour commencer, je dirais que tout(e) adolescent(e) fait une crise d’identité, mais dans mon cas, jongler entre deux cultures très distinctes a été une ouverture pour plusieurs crises continues. On a l’impression que cela ne finit jamais, et on ne t’aide pas quand on te rappelle constamment que tu n’es pas d’ici ou des nôtres même si tu habites à Montréal depuis plus de quinze ans. 

J’ai eu beaucoup de difficultés à m’orienter et même du mal à me rejoindre dans mes références d’origines. Mon processus d’intégration a été un dilemme entre le fait de laisser tomber certaines traditions pour adopter les nouvelles du pays d’accueil. En plus, on devient maintenant le petit pont entre deux cultures. On est aussi la représentation de notre culture d’origine. Ce que je trouve très lourd. Par exemple, si je suis dans une réunion au travail et la seule noire ou la seule Haïtienne, je sais que je représente au complet la communauté noire en gros et la communauté Haïtienne.

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Quand je rentre dans un environnement principalement blanc, je suis consciente que je n’ai pas droit à l’erreur.

Je suis toujours à la recherche de mon identité et j’essaie encore de trouver l'équilibre entre mes deux cultures distinctes. Je pourrais dire que maintenant, avec beaucoup d’expériences, ce qui fonctionne pour moi c’est de définir moi-même qui je suis et non laisser les autres le faire à ma place. Je n’ai pas le choix d’être stricte là-dessus; c’est devenu une question de survie.

Quelle est ton opinion sur les couples interraciaux?

En toute honnêteté, j’ai essayé les couples interraciaux. J’ai été avec l’âme de l’enfant innocent dans les couples interraciaux sans même imaginer que c’était possible de faire face à des préjugés. À chaque fois que je rencontrais la famille de mon partenaire, c’était la reproduction du film dans lequel Sydney Poitier avait joué, « Guess Who's Coming to Dinner » ou Devine qui vient dîner avec nous en français. En passant ce film date de 1967.

Je ne dirais pas que je suis contre. Cependant, il a été important pour moi d’avoir un partenaire attentif à mes enjeux et au courant tout simplement. À travers mon couple, j’ai fait l’erreur de vouloir combler mon besoin d’appartenance (concept de Maslow). Il y avait dans ce cas trop de travail à faire et j’ai souvent moi-même abandonné. Il a été impossible pour moi d’appartenir à un groupe qui, en majorité, possède des préjugés envers mes origines.

Oui, il y a eu d’autres difficultés qui ont fait que le couple n’a pas fonctionné autre que les différences raciales, comme les différences dans nos objectifs, nos mentalités, nos positions politiques, etc. ont joué en grande partie dans la défaite des couples interraciaux. C’était du cas par cas et non de la reproduction de références ni de traditions. 

Il y a eu d’autres problèmes mais le manque de compréhension, de communication et d’ouverture d’esprit de mon partenaire ont été à l’origine les raisons du choc de mes expériences en couple interracial.

Que ça soit avec un Québécois, un Algérien, un Français, un Italien ou autre... C’était toujours la même histoire. C’était à moi de faire plus d’efforts ou j’étais celle qui était souvent la plus ouverte d’esprit et la plus flexible dans mes traditions. C’était à moi de suivre. Il n’y avait aucune collaboration.

J’ai aussi senti qu’en étant une femme noire, ça paraissait que c’est moi qui était plus en besoin d’obtenir un partenaire pour survivre. Les rôles spécifiques de chaque genre ressortaient plus; un sentiment que je n’ai pas aimé étant féministe et indépendante. Bref, tout ça pour dire que c’était trop lourd pour moi de jongler entre les enjeux de couleur et de genre en même temps dans mon couple qui devrait être mon refuge quand je vis déjà ce dilemme dans mon milieu professionnel et social.

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Évidemment, je dirais que pour moi l’amour n’a pas été assez. Peut-être que ce n’était simplement pas le bon. Une chose est sûre, c’est qu’il m’aurait fallu des efforts et de l’ouverture d’esprit dans les deux sens. Au final, je parle d’immigration et de la diversité mais jamais je prêcherai les efforts à sens unique.

L’aspect important que j’évoquerais, c’est de s’assurer d’avoir un point commun, une référence quelconque, peut-importe même si c’est un sport. Il ne faut pas non plus avoir le stéréotype que toutes personnes venant d’un pays du Nord soient plus ouvertes d’esprits que les autres races. Il s’agit de trouver la bonne personne qui te comprend ou qui fait l’effort.

Comme on a pu le remarquer avec les événements récents, puis avec le mouvement du BLM qui a pris de l’ampleur, le racisme persiste toujours dans notre société. En tant que femme de couleur, comment nous décrirais-tu ton intégration au milieu professionnel? As-tu déjà ressenti des injustices?

Un autre évènement vient d’arriver aux États-Unis. Un policier a tiré sept balles sur Jacob Blake pour aucune raison crédible. Il est maintenant handicapé, probablement à vie. Tout cela me touche, simplement en voyant sur les réseaux sociaux un autre de la même race que moi vivre des injustices. Oui, le racisme persiste encore dans le monde même ici au Québec. Le racisme, c’est quoi avant tout? C’est la peur. C’est favoriser une race aux autres. C’est le fait de ne pas être privilégié à cause de la couleur de sa peau. C’est ne pas être le premier choix pour les entrevues dans le monde professionnel même quand on a les compétences nécessaires. C’est le fait de penser à prolonger ses études pour ne pas juste avoir un bon curriculum vitae, mais un qui est impeccable.

C’est toujours faire plus parce qu’on sait que pour avoir la même valeur qu’un blanc, il faut accomplir deux fois plus. De plus, pour obtenir la même valeur qu’un homme blanc, il faut réaliser quatre fois plus. C’est se faire sentir différent(e) dans une salle. C’est se faire constamment rappeler qu’on n’est pas d’ici parce qu’on a pas la bonne couleur de peau. Quand arrivera-t-il le jour qu’on pourra cohabiter, co-travailler, co-exister et collaborer?

En toute honnêteté, je dirais que mon intégration dans le milieu professionnel a été comme passer à travers un trou d’aiguille. N'étant pas préparée pour les circonstances racistes qui peuvent possiblement arriver dans le milieu professionnel, je peux dire que cela n’a pas été une période d’apprentissage rose. C’était nouveau pour moi. En Haïti, nous étions des Haïtien-ennes. 

Dans le monde du travail, j’ai souvent eu à me poser la question suivante: « dans ce contexte-ci, est-ce de la discrimination? » Et seulement ça démontre que je ne suis pas privilégiée.

Oui, j’ai vécu des injustices et ce n’est pas normal d’avoir peur d’aller parler aux employés des ressources humaines concernant des propos racistes ou de simples discriminations à cause du manque de diversité des équipes de RH. 

En contemplant ton Instagram, on admire instantanément ta tignasse frisée. As-tu toujours adhéré au #naturalhairmovement?

Je fais partie des femmes noires qui ont porté les cheveux défrisés depuis le jeune âge, à sept ans pour être plus précise. J’ai découvert ma tignasse frisée il n’y a pas très longtemps. J’ai en partie décidé d’aller vers mes cheveux naturels un peu avant le mouvement aux États-Unis. J’ai appris à me coiffer sur Youtube grâce à ces femmes noires merveilleuses qui ont pris leur temps de s’éduquer sur nos types de cheveux. 

Le Natural hair movement de nos jours est plus qu’une déclaration politique sur le afro. C’est en même temps une forme d'acceptation de soi, puis nous disons non au camouflage de notre identité pour se fondre à la société occidentale; ce que nous devons accomplir pour satisfaire la celle-ci va à l’encontre de notre propre santé. 

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À sept ans on a mis ce qu’on appelle une permanente, donc un défrisant pour que j’aie les cheveux droits. À partir de cet âge j’avais déjà donc plusieurs des dommages reconnus de la permanente tels que la chute des cheveux, les brûlures du cuir chevelu et de la peau ainsi que des démangeaisons. Ce principe de permanente nous met à risque quant plusieurs types de maladies. Ci-dessous, je cite le blogue L’Express Dix en France.

« Une étude menée sur 24 000 femmes se fondait sur la présence dans les produits défrisants d'actifs considérés comme des perturbateurs endocriniens, auxquels les femmes sont particulièrement sensibles avant la puberté. La fréquence d'utilisation et le mode d'application de ces produits, proches du cuir chevelu, rendent les femmes noires et métissées plus vulnérables que les autres ». 

Finalement, pour démontrer l’ampleur de la situation, je préciserais qu’à l’époque de ma mère, il fallait avoir les cheveux droits pour obtenir un poste de travail, son statut social et bien plus. 

Aurais-tu un message ou des astuces à nous donner afin d’encourager les lectrices à adopter fièrement leur chevelure naturelle, puis d’en être fière?

Il est primordial de mentionner que le fait d’avoir le choix de garder nos cheveux comme nous voulons est en partie un gros pas vers la liberté pour nous. Je dirais aux lectrices d’adopter le style de cheveux qui leur convient. Le message important que je ferais c’est de ne pas choisir un style de cheveux pour cacher sa crinière naturelle par peur d’être discriminée. Il faut connaître son objectif et le pourquoi de ses actions. 

Source image de couverture: Facebook - Annick Bissainthe
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