Le théâtre peut nous bousculer, nous mettre face à nos problèmes et nous amener à nous poser des questions sur nous-mêmes. J'aime le théâtre qui provoque des réactions, qui allume des réflexions et qui nous met en scène. J'ai 31 ans. Le théâtre, il parle de ma génération de plus en plus, mais souvent d'un regard externe. Lignes de fuite, au Théâtre d'Aujourd'hui vise dans le mille. Catherine Chabot, jeune auteure de la pièce, a su saisir sa génération et la mettre en scène de manière brutale dans un quotidien que plusieurs spectateurs pourront reconnaître.

L'histoire est campée dans le salon de Zorah qui vient de déménager dans son nouveau condo avec son amoureuse. Elle y reçoit ses deux meilleures amies d'adolescence et leurs amoureux. Les six personnages sont très différents et on le comprend rapidement. Zorah interprétée par Lamia Benhacine travaille en finances et est très bien nantie, alors que sa conjointe, Olivia,  jouée par Victoria Diamond est une artiste anglophone avec moins de moyens financiers, mais présente à tous les événements en ville. Gabrielle, un rôle tenu par Léane Labrèche-Dor, est chroniqueuse à Radio-Canada et est en couple ouvert avec un chargé de cours de l'Université de Sherbrooke, Louis, joué par Benoît Drouin-Germain. Finalement, tout droit descendu de Québec, Raphäelle, interprétée par l'auteure elle-même, est une avocate qui est en couple depuis dix ans avec un homme travaillant dans le domaine de la construction, Jérôme, joué par Maxime Mailloux.

Dès le début, je me suis reconnue dans ce groupe d'amis qui dansent et chantent avec les copains qui boivent et participent par moment. On comprend vite la dynamique de cercle fermé et de souvenirs qui animent les jeunes trentenaires. Tout fonctionne: du look des filles à la décoration de l'appartement au choix de la musique, je me suis sentie dans un environnement réaliste. C'est une des forces de Catherine Chabot, on ne démarre pas dans la démesure, on se reconnaît, on se juge à travers le jugement qu'on porte aux personnages. Les amis échangent sur divers sujets: les réseaux sociaux, les influenceurs, l'amour, la politique, la maternité et j'en passe. Les positions se campent de plus en plus. Certaines personnes pourraient penser que les personnages se caricaturent plus la pièce avance, mais je ne pense pas. Je voyais, en chacun d'un, des gens que je connais. C'est ce qui devient effrayant.

On commence l'heure et demie de spectacle par rire avec les personnages qui s'amusent, visiblement avec un verre dans le nez. Par contre, plus le temps avance, plus les relations se font tendues et plus les sujets deviennent sérieux. Plus le malaise monte et on ressent toutes les cassures entre les amies qui ont vieillies bien différemment. On a l'impression d'être avec eux dans ce salon. Il arrive même que les comédiens parlent les uns par-dessus les autres, comme on le ferait dans la vraie vie lors d'un débat. Sans voler un grand punch, on apprendra une grande nouvelle et le ton changera. Dramatiquement.

Il n'y a pas que l'histoire qui est fascinante, le jeu des jeunes acteurs captive. Maxime Mailloux et Léane Labrèche-Dor envahissent la scène par la justesse de leur jeu. On ressent le profond mal-être de Gabrielle et on aurait envie, à tout moment, de serrer Jérôme dans ses bras et de devenir son ami. Il est rare que toute la distribution soit aussi solide. Chapeau aussi à la mise en scène de Sylvain Bélanger: on y croit, on se croit dans ce salon.

Après avoir vu Lignes de fuite, on ne rentre pas chez soi calmement. On pensera à notre vie et à notre vision des divers enjeux soulevés durant le spectacle. On tentera aussi de voir comment on peut améliorer le tout. Parce que même si plusieurs protagonistes semblent ne plus avoir d'espoir, on peut en avoir, nous. Soyez prêt: les références culturelles et politiques modernes sont nombreuses. Je suis allée voir la pièce avec ma mère et elle ne comprenait pas toutes les expressions qui furent utilisées. Elle me l'a dit dès notre sortie du théâtre. Étonnement, ça ne m'a pas choqué: j'ai tout compris. Preuve que c'est écrit et fait pour les trentenaires. Ma mère m'a toutefois dit qu'elle a adoré l'oeuvre, elle a aimé comment ce fut écrit et mieux comprendre notre perception de la vie. Je vous conseille donc tous d'y aller que vous ayez 18 ou 75 ans!

À l'affiche au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 6 avril 2019. 

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