Mon frère est coincé en Inde. La situation est de moins en moins favorable. Après trois vols annulés et un climat plus oppressant, mon coeur de grande soeur se resserre de jour en jour. Chaque matin, la première chose que je regarde, c'est mon cellulaire espérant voir un message de Lambert qui me dit qu'il va bien et, encore mieux, qu'il a enfin un vol pour revenir au Canada. La dernière chose que j'espère le soir, c'est de souhaiter une bonne journée à Lambert avant de m'endormir. Je sais qu'il n'aimera pas lire ceci. Il ne veut inquiéter personne. Mais c'est quand même la réalité. Quand la crise de la Covid-19 a éclaté, on avait, en famille, commencé à lui chercher des vols. À ce moment, on trouvait les prix exorbitants pour un aller simple et on magasinait. On ne se doutait en rien que les vols, peu importe le prix, se verraient annulés. On se doutait encore moins que l'Inde était sur le seuil de vivre un drame humain...

NOUS AVONS BESOIN QUE LE GOUVERNEMENT INTERVIENNE SANS ATTENDRE.

Le prix humain.

L'Inde. Un vaste pays si méconnu par la plupart des Occidentaux. Peuplé de plus de 1,3 milliard de personnes, l'Inde est en confinement strict depuis le 24 mars dernier. Sans comprendre la réalité là-bas, on peut aisément se dire que c'est la meilleure décision puisque le Canada a fait de même. Toutefois, le scénario est fort différent. Le confinement strict, imposé en moins de quatre heures en Inde, empêche aussi les citoyens de travailler, par contre, pour eux, le travail est souvent une question de vie ou de mort quand il permet d'acheter le strict minimum pour manger. De plus, plusieurs Indiens tentent aujourd'hui de retourner dans leur village à pied, village qu'ils avaient quitté pour trouver du travail ailleurs. On parle ici de marche sur plusieurs jours effectuée presque à jeun par des personnes de tous âges, autant des enfants que des vieillards. Plusieurs y perdront la vie. Entre la malnutrition, les violences policières et l'entassement dû au confinement dans un tel pays, on se demande la pertinence d'une telle mesure.

Le confort, au temps du confinement, n'est pas le même partout sur terre. Ici, on se plaint parfois le ventre plein, pris dans nos maisons coquettes avec l'eau courante et de l'aide financière du gouvernement (qu'on aime ou pas les mesures mises en place). Là-bas, on peut s'entasser dans des maisons sans eau courante, avec de l'électricité au gré des humeurs et même sans sanitaires. Quels effets cela aura sur la population à long terme?

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Le prix financier.

Pour les Canadiens en Inde, l'histoire n'est pas rose. Plusieurs ressortissants sont actuellement coincés dans des auberges. Le gouvernement indien a interdit les vols commerciaux internationaux. Certains Canadiens étaient venus visiter leur famille, certains sont en voyage d'affaires, certains sont backpackers. Ils étaient ici avant que des mesures soient prises, leurs vols ont été annulés l'un après l'autre, et maintenant ils n'ont aucun moyen de rentrer à la maison. Certes, depuis deux jours, ils reçoivent des courriels pour des vols de rapatriement, mais la situation est loin d'être idéale...

Pour comprendre pourquoi Lambert est en Inde, il faut savoir qu'il a quitté le Québec il y a un an et demi pour se rendre en Australie où il a voyagé et travaillé pendant un an. Une année où il a rêvé de poursuivre son aventure en Asie, ce qu'il a fait. Il est donc arrivé en Inde le 3 mars, bien avant que la pandémie prenne l'ampleur que nous lui connaissons aujourd'hui. Lambert devait revenir à la maison en mai, après avoir terminé son long voyage au Portugal avec nos parents (et je cacherai de dire que j'espérais trouver une manière de les rejoindre). Ainsi, ses plans ont été chamboulés et il a été pris au coeur de la crise à rapidement chercher des moyens de, tout d'abord, se rendre dans une grande ville en Inde, puis de trouver un vol... Voici la petite histoire de Lambert dans ses mots:

«Je suis arrivé à l'auberge il y a maintenant 10 jours. Mon premier vol venait alors d'être annulé. Aucune solution, aucun vol de rapatriement, ne semblait être dans les plans du Canada. Au téléphone, l'ambassade nous recommandait de réserver les rares vols qui étaient toujours en vente.

J'ai réservé deux autres vols qui ont eux aussi été annulés. Ajoute à ça mon vol initial de retour, prévu à la mi-mai, et j'avais dépensé des milliers de dollars en vols annulés. J'ai récupéré une bonne partie en crédits de voyage. J'ai maintenant assez de crédits pour déjeuner à Paris, dîner à Pékin, souper à Hawaï et revenir à Montréal lorsque les frontières seront à nouveau ouvertes.

J'ai vu les Allemands, les Français, les Espagnols, les Suédois, les Tchèques, les Japonais, les Israéliens, et quelques Américains quitter l'auberge les uns après les autres, secourus par leur pays respectif. Personne n'a payé plus de 800 dollars. J'étais super content quand le Canada ait annoncé des vols de rapatriement, mais j'ai sursauté quand ils ont annoncé le prix, 2900$. C'est trois fois le prix du marché.

Le Canada est le seul pays qui n'est pas parvenu à envoyer une de ses compagnies aériennes nationales; on doit prendre Air India. En plus, le vol n'est pas pris en charge par l'ambassade, mais plutôt par une agence de voyage locale, Corporate Flyers.

Je ne veux surtout pas paraître ingrat. Comprenez-moi bien, je n'ai aucun problème à payer, je me demande juste ce qui a été fait par Affaires mondiales Canada. Ils ont été plus lents à réagir que presque tous les autres pays et maintenant c'est ça qu'ils nous offrent? Pour une famille avec deux enfants, ça représente 11600$, alors que le prix normal est de 3500$. La plupart des Canadiens se demandent s'ils ne feraient pas mieux de rester ici plutôt que de prendre cette *aide*. Sauf que la situation en Inde commence à ressembler à un drame humanitaire.

Pour ma part, je ne peux pas vraiment me permettre de rester. À chaque fois que j'ai redouté un développement en Inde, il s'est matérialisé. Si l'auberge ferme, je suis dans la merde. J'me sens otage de la situation. Aujourd'hui, j'appelle les ambassades de France et d'Allemagne pour tenter de me faufiler sur leurs vols. En attendant de recevoir l'appel de Corporate Flyers...»

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Malgré tout, j’ai le soulagement de savoir Lambert encore en sécurité pour l'instant. Mais tout peut changer à tout moment...

«...notre auberge, le DatStop Hostel, une des rares qui est toujours ouverte en Inde. Shubham est un genre de voyageur/vidéaste, un habitué des grosses aventures pas possibles, le genre à traverser l'Inde à la marche juste comme ça. Il vient d'un petit village indien dans les Himalayas, à 70km de marche de la route la plus proche. Dans notre auberge, c'est notre ange gardien. C'est le seul qui est autorisé à quitter l'auberge. À chaque jour, il achète tout ce qu'on a besoin pour nos repas chez un marchand de produits local. Il organise les transports vers l'aéroport pour ceux et celles qui ont des vols de rapatriement. Ils rassurent en hindi les voisins, préoccupés par notre présence dans le quartier. Ces jours-ci, il passe presque tout son temps sur son cell à aider les autres voyageurs coincés en Inde. C'est rendu que, faute de recevoir de l'aide de leur ambassade, certains voyageurs à l'autre bout du pays s'en remettent à lui, le gars d'un village perdu dans les Himalayas. Grâce à ses contacts, il arrange des hébergements pour ceux et celles qui se font expulser de leur hôtel. Et il n'oublie pas pour autant les compatriotes qui font appel à lui : il soutient financièrement un paquet d'Indiens pris dans des situations difficiles, sans emploi, qui ont du mal à trouver de la nourriture. 

Il y a aussi le proprio de l'auberge. Il raconte les pressions qu'il a reçues de la police, des voisins, pour fermer le Datstop. Il semble résolu à garder l'auberge ouverte et, contre toute attente, il continue d'accueillir les voyageurs mal pris. Il nous offre une option d'hébergement abordable pendant qu'on est coincés ici et il nous permet de cuisiner nos repas, gratuitement, dans la cuisine. Lui et son personnel mettent leur santé en danger en s'isolant avec des voyageurs. Ce sont des gens d'une grande solidarité. »

Un prix, un prix, mais avant tout, des vies.

On parle de prix. De prix humain. De prix financier. Laissons ce mot de côté, ce sont des vies. Des vies brisées ou en suspends par cette pandémie.  Il est grand temps que notre gouvernement prenne ses responsabilités et aide réellement ses citoyens.

Le coronavirus, s'il peut en sortir du positif, a l'opportunité de créer un mouvement mondial de solidarité pour qu'on cesse de se regarder le nombril en se félicitant de dons sporadiques pour alléger notre conscience. À quand un réel mouvement pour que le prix d'une vie soit le même ici et ailleurs?

Camille Dg frère Lambert kayak

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