Aujourd’hui je reprends ma plume que j’avais délaissée depuis déjà quelques années pour vous partager ma vision des choses sur notre mode de vie des dernières semaines. Je suis autiste, diagnostiqué depuis 2004, mais ma vie, j’ai souvent eu l’impression de la vivre entre deux réalités. J’ai suivi tout mon apprentissage dans des classes régulières et je réussissais à me classer parmi les meilleurs de mon groupe, mais autant n’ai-je jamais vraiment réussi à m’identifier dans le milieu très routinier et cartésien des autistes, autant aujourd’hui n’ai-je toujours pas réussi à démystifier toutes les sphères de notre société.

Les autistes et les neurotypiques cohabitent dans un même monde depuis longtemps, mais continuent de vivre dans deux univers parallèles. D’un côté nous trouvons ceux qui se rassemblent, se mettent en couple et suivent des études pour bâtir une carrière, et de l’autre, nous avons ces personnalités uniques qui se passionnent sur toutes sortes de sujets, mais sans réellement se soucier de leurs relations interpersonnelles.

C’est vrai qu’il y a quelques années, le contact humain m’effrayait. Toute ma jeunesse, je me suis senti différent et incompris. Les enfants que je pouvais côtoyer dans mon entourage se faisaient aussi un malin plaisir de me le faire savoir. Au primaire, j’étais cet élève turbulent qui déplaçait beaucoup d’air. Au secondaire, nous avions déménagé dans une nouvelle ville pour me donner un nouveau départ. C’était alors la chance pour moi de changer mon attitude pour tenter d’améliorer les choses. J’étais devenu silencieux, reclus et asociable. Différente approche, mais même résultat. Mes temps libres, je les passais seul enfermé chez moi comme un ermite. On m’aura même sorti des cours d’éducation physique parce que j’étais incapable de me mêler à une équipe. Ces années-là, je dirais que les ai perdues à regarder le monde vivre au lieu de profiter moi-même de ma propre vie.

homme seul fenêtre noir et blancSource image: Unsplash

J’ai donc décidé de faire de 2014 mon année de changements. D’un coup de tête, je suis parti trois semaines en solo en Afrique pour faire du volontariat. C’était le début de ma quête à mieux me connaître. Bien que le voyage ne se soit pas déroulé aussi bien je l’aurais souhaité, dans mes dernières journées, j’ai passé la soirée à trinquer avec deux volontaires allemands. L’effet de l’alcool aura fait tomber la carapace que je me suis bâtie après tant d’années. Les Allemands ont aussitôt remarqué mon changement de personnalité et m’ont demandé pourquoi ne pas avoir eu cette attitude dès le début. Moi de répondre naïvement que c’était parce que j’avais trop bu. L’un d’eux me dit simplement que je devrais toujours garder cette simplicité d’esprit. Un conseil qui m’aura marqué malgré mon haut taux d’alcoolémie.

C’est ainsi que tout aura déboulé par la suite. À force de me suradapter, j’aurai réussi à créer quelques liens ici et là. Les prochains voyages auront aussi été déterminants, ils me permettaient de pouvoir m’exprimer sans gêne et si jamais je devais me planter, je n’allais pas recroiser ces personnes à nouveau. Mais ça fonctionnait. J’étais capable créer de nouveaux liens rapidement, on planifiait des excursions tous ensemble, on sortait faire la fête, bref je menais la vie dont j’avais toujours rêvée. À la maison, j’ai transposé cette façon de vivre et de fil en aiguille j’ai fini par rencontrer ces personnes qui me font sentir apprécié, sur qui je peux finalement compter.

Maintenant, on est en 2020 et j’ai l’impression de faire un retour dans le passé. Bien que socialement, je ne sois pas encore tout à fait rendu là où j’espérais, je me rends compte que le temps m’aura dénaturé et c’est parfait. Aujourd’hui, le fait de devoir rester à la maison me fait sentir comme un lion en cage, parce que ça aura toujours été ma nature de défoncer des barrières. Que ça soit de pouvoir retourner travailler dans le métier hors normes que je pratique ou partir pour un xième voyage solo parce que chacun d’entre eux est différent, de pouvoir m’entrainer pour un 3e marathon ou pour simplement passer du temps de qualité avec ces personnes qui viennent égayer mes journées, je réalise qu’aujourd’hui ma vie sociale m’est importante. Je me rends aussi compte que je m’ennuie de cette camaraderie et ces tapes dans le dos, que je percevais autrefois comme une invasion. Il y a aussi ce sentiment du devoir accompli partagé avec mes partners de job qui me manque ou ces gens que je côtoyais au centre d’escalade avec qui je partageais mon affection pour ce sport. C’est comme si je ne pouvais plus profiter de tout ce pour quoi j’avais travaillé durant les dernières années.

homme seul voyage montagneSource image: Unsplash

Cependant, en sortant de cette pandémie, chacun d’entre nous devrait prendre un moment et penser à ces milliers de personnes qui vivent cette distanciation sociale au quotidien. Non pas par choix, mais parce que nous les rejetons pour différentes raisons… bizarre, autiste, trop gros, trop petit, gai, d’une différente ethnie, peu importe la cause. En 2011, un article était paru à mon sujet dans le journal de la ville. Deux jours après, nous avions notre collation des grades et alors que nous attendions avant de monter sur scène, une fille s’approche et me demande si c’était moi Tommy qui figurait dans le journal. Je ne la connaissais pas et je ne lui avais même jamais adressé la parole, mais après avoir timidement affirmé que j’étais cette personne, elle m’a lancé le plus grand des sourires et m’a félicité en me disant d’être fier de mon cheminement. Une simple action qui m’aura déconcerté. La prochaine fois que vous croiserez une personne introvertie ou en manque d’estime de soi, souriez-lui, dites-lui bonjour. Individuellement et simplement, nous avons le pouvoir de contribuer au bonheur des autres. En attendant, disons-nous que ça va bien aller.

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