Tu es rentrée dans mon bureau avec le sourire que font les enfants qui ne sont pas heureux. Celui qui fend le visage à en faire mal, celui qui sait qu’il devrait se trouver ailleurs. Tu t’es assise sur ma chaise et le silence dans la pièce était tellement fort que mon cœur a voulu prendre le tien par la main et partir. Tu étais vide, mais tellement lourde. Tu étais lourde, mais tellement vide. Ma tête a réussi à trouver les mots pour couper le silence et ma bouche a osé te demander «Comment tu vas?», même si on savait toutes les deux la réponse. Mon «Comment tu vas?» portait sur son dos tous les sous-entendus que tu savais qu’il traînait, de par son ton, de par mon non-verbal. Et si tu avais dit que tu allais bien, je pense que le silence serait revenu fendre la pièce en deux jusqu’à ce que la vérité vienne sous-louer la place.

À lire : Conserver ses bonnes habitudes de vie même pendant les temps froids

La vérité, c’est l’éléphant dans la pièce. Celui qu’on fait semblant de ne pas voir mais qui se cache aux détours des corridors de ton école. La vérité, c’est que tu es loin d’aller bien. Tu vas mal dans la mesure de l’impossible. Tu vas mal comme quelqu’un qui doit se forcer pour aller bien, se forcer tellement fort que le soir, tu te couches épuisée de répondre «Bien» au gens qui osent le «Comment vas-tu?». Je le sais parce que tes yeux me disent des secrets que ta bouche refuse parfois de m’avouer. Parce que ton regard se promène loin du mien et que tes mains cherchent quelque chose pour s’agripper. Comme une ancre, parce que tu te sens tellement vide que ton esprit s’envole et que tes mains essaient de te retenir au sol.

Source image : Unsplash

Tu me réponds «Je ne sais pas trop», et en toute honnêteté, j’ai souvent cru que c’était pire que de dire «Je vais bien». Tu m’expliques, les mains bien agrippées à la chaise, que tu trouves ça difficile de vivre. Que chaque matin sortir de ton lit semble aussi difficile que de traverser une rivière et que si par chance ton corps réussit l’exploit, ta tête, elle, se fait ramasser par le courant. Tu me dis que ton estomac fait la grève depuis des semaines, que la nourriture qui descend goûte aussi amer que tes pensées. Que ça te fait mal d’essayer. Tu me dis que les gens autour de toi vont et viennent. Tu ne sais pas si c'est toi qui es au ralenti ou eux qui sont en accéléré, mais clairement, vous évoluez dans deux zones temporelles indépendantes. Tu me dis que tes larmes font la file pour s’évacuer d’urgence, que chaque fois que quelqu’un entrouvre la porte, elles sortent sans que tu puisses les retenir. Tu me dis que tu essaies de te ramener mais que tu es loin, tellement loin…

J’ai envie de te dire que tout va s’arranger parce que ce serait facile. Parce que je pourrais continuer d’ignorer l’éléphant qui me fixe de l’autre côté de la porte vitrée de mon bureau. Mais tu ne vas pas bien, et ce ne sera pas facile. La vérité, c’est aussi que tu as le droit de ne pas aller bien. Que malgré ton jeune âge, tu ne peux pas te déresponsabiliser de tes émotions et mettre en charge n’importe quel adulte significatif qui croise ton chemin. Elles sont là tes émotions, elles prennent de l’expansion. Elles t’envahissent l’esprit et prennent la place des fleurs qui voudraient bien pousser quelque part au fond de ta tête. Tu ne vas tellement pas bien que même mes mains à moi commencent à fouiller la pièce, pour se trouver quelque chose à tenir, car mon esprit s’égare à essayer de trop te comprendre.

J’ai envie de te dire que tu n’es pas folle, que la folie ça n’existe pas. Que tu as le droit d’imager ton malaise de la façon dont tu l’entends. Mon sourire a envie de te crier que tu as le droit de te sentir lourde, que tu as le droit de te sentir vide. Que si en plus de te sentir loin, tu te bats pour que les autres autour de toi se sentent proche, tu n’auras plus beaucoup d’énergie pour te ramener toi quand ce sera le temps. J’ai envie que tu saches que quand tu seras prête, il y a plein de gens qui vont te donner des outils pour t’ancrer sans utiliser toute ta force physique.

Mais j’ai surtout envie de te dire que tu dois être forte, forte comme le sont les arbres les mieux enracinés du monde. Trouve la force de dire que ça ne va pas, à moi ou aux autres. Être capable de dire que là c’est trop, c’est un peu comme mettre au défi tous tes instincts de survie qui se cachent au fond de ton cœur. J’ai envie de te dire que tu es belle et que si ton âme trouve la résilience nécessaire pour te porter jusqu’ici, je suis certaine que tu es capable de réaliser les beaux défis que tu vas te donner dans les semaines qui vont venir. En attendant, on va se dire les vraies choses jusqu’à ce que l’éléphant disparaisse. On va cultiver les fleurs qui poussent dans ton esprit et t’aider à te décharger du poids émotionnel qui t’a amené jusqu’ici.

Source image de couverture : Unsplash

Accueil