Debout, devant moi, se trouve une jeune femme dans la mi-vingtaine au teint chocolat au lait, aux cheveux fous en pagaille, aux yeux pétillants, à l’air sérieux, mais au visage accueillant et bienveillant lorsqu’un sourire s’y dessine. Je regarde cette femme, sans maquillage, elle est belle dans toute sa simplicité.

Doucement, elle met de la crème dans ses mains et en étend sur ses longs bras. Ses bras qui lui permettent de saluer au loin d’autres humains, qui gesticulent pour accompagner et amplifier ses paroles et surtout, qui lui permettent de prendre ceux et celles qu’elle chérit. La femme est charmante.

Elle pompe à nouveau de la crème dans ses mains. C’est au tour du cou et des seins. On peut voir quelques sillons dans les plis causés par le soulèvement de sa poitrine. Ces sillons sont probablement apparus en même temps que ses seins, soit à l’âge de la puberté. La peau, ayant une limite à son pouvoir élastique, a dû céder pour laisser grandir ce qui est maintenant une forte poitrine. Cette peau qui a subi différentes transformations accueille avec plaisir les caresses et les baisers de son amant. Dans un avenir inconnu, subissant de nouvelles transformations, elle accueillera peut-être avec attendrissement les tétées d’un nourrisson et sera le vecteur de la formation d’un lien fondamental entre une mère et son enfant. Avec ses longs bras accueillants et sa forte poitrine, la femme est séduisante.

Armées de crème, les mains de la femme en étalent maintenant sur ses jambes. Elles sont longues, fortes et puissantes. Elles lui permettent de se déplacer au quotidien. Au bout de ces dernières, il y a des pieds si fins, si plats, si graciles. Pourtant, ceux qui s’écrasent sous son poids à chaque pas réussissent à tenir le coup et reprendre leur forme. Les mains qui les couvrent le font avec reconnaissance parce qu’ils lui permettent toujours d’avancer malgré les assauts continuels de la gravité. Avec ses longs bras accueillants, sa forte poitrine, ses puissantes jambes et ses pieds plats, la femme est plaisante à regarder.

La femme applique à nouveau de la crème dans ses mains et puis c’est au tour de ses fesses bombées d’être enduites du liquide hydratant. Celles qu’elle a parfois désirées plus petites, moins proéminentes. C’est qu’elles peuvent parfois être gênantes… Particulièrement dans les moments où l’on doit passer dans des endroits plutôt étroits comme entre deux rangées de tables et qu’on aimerait ne pas les faire rebondir dans tout ce qui se trouve, incluant la pauvre tête des gens qui sont attablés et qui n’ont rien demandé. Avec ses longs bras accueillants, sa forte poitrine, ses puissantes jambes, ses pieds plats et ses fesses bombées, la femme est attirante.

Elle remet de la crème dans ses mains. Elle s’attaque maintenant – moins gracieusement – et tant bien que mal aux parcelles de son dos qui lui sont accessibles. Elle termine par les côtes et ses mains descendent jusqu’à ces hanches. Elle s’y attarde, applique une deuxième couche de crème, tend la peau, la compresse, la tapote. Les bras se croisent au niveau de la poitrine et les mains se glissent naturellement dans les creux des aisselles et laissent découvrir de larges sillons violacés et turgescents au niveau des hanches. Le dépit se profile sur son visage. Avec ses longs bras accueillants, sa forte poitrine, ses puissantes jambes, ses pieds plats, ses fesses bombées, son dos nu et ses hanches cicatrisées, la femme est toujours belle, charmante, séduisante, plaisante à regarder et attirante. Pourtant, la femme ne se voit pas ainsi.

cacao fruitSource image: Unsplash

Il n’y a plus de crème dans les mains, mais elles caressent toujours les vergetures aux hanches et sentent les boursouflures qui les accentuent. Ses cicatrices auraient pu être la trace d’une grossesse qui fait en sorte que la peau du ventre et son pourtour doivent se distendre rapidement pour laisser place à la vie. Mais ce n’est pas le cas, le ventre n’a pas encore accueilli la vie. Dommage, ç’aurait été plus acceptable. On lit la déception sur le visage de la femme. Les sillons sont seulement les traces de sa gourmandise et de sa tentative de retrouver momentanément un certain équilibre. La femme ressent du dégoût envers cette partie du corps dans lequel son stress s’est matérialisé. Comment porter un regard différent sur soi quand on a vécu et continue de vivre dans une société grossophobe? Comment porter un regard différent quand on a internalisé que le gras c’est dangereux et que c’est mauvais pour la santé? Comment porter un regard différent sur soi quand on a appris que le surpoids est lié à la paresse, au manque de volonté et aux excès? Comment porter un regard différent sur soi quand on se fait détailler de la tête aux pieds par une connaissance qui remarque la métamorphose soudaine? Comment porter un regard différent sur soi quand on sent qu’on n’a perdu le contrôle?

Les mains pompent une dernière fois de la crème. Elles glissent l’une contre l’autre. Celles qui permettent de caresser, de communiquer, d’écrire, de cuisiner, de se nourrir, de soutenir et donner de l’amour au quotidien. Avec le temps, les sillons pâliront et perdront leur rougeur au fur et à mesure que la femme s’accordera un regard plus indulgent. La femme est jolie dans toutes ses imperfections, ses insatisfactions, ses insécurités, sa nudité et sa vulnérabilité. La femme irradie avec son odeur de cacao laissée par la crème.

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