Jour de la rupture

Je me rappelle avoir pris l’ascenseur jusqu’au quatrième étage avec une boule dans la gorge. Je suis revenue à mon poste de travail avec le corps présent et l’esprit absent. J’ai dû me retenir pour ne pas m’en aller. Chaque heure qui découlait de l’horloge était une heure qui me rapprochait de la fin de la journée, ce moment où je n’aurais plus à me forcer à faire semblant d’aller bien. Je suis revenue dans mon petit bureau dans le fond du couloir. J’ai pris mon téléphone aussitôt après avoir franchi l’entrée. J’ai vu l’icône à côté de mon message qui m’informait que tu l’avais vu sans me répondre. Je n’avais pas à être dérangée de ça puisque je t’avais dit que tu n’étais pas obligé de répondre. J’aurais aimé que tu ne m’écoutes pas, mais ça, je l’ai gardé secret.

J’ai marché jusqu’à mon véhicule en ayant l’impression de me dépêcher alors que je ne faisais que rentrer chez moi. Je sentais ma respiration devenir plus rapide. J’ai pleuré en me rendant sur le chemin de la maison. J’ai ouvert la porte de mon logement et je suis allée me réfugier dans mes couvertures. Je ne me dépêchais plus et j’avais l’impression que ma respiration continuait à chercher son souffle.

J’ai décidé de me changer les idées en allant faire les boutiques. Habituellement, les néons un peu trop intenses arrivent à créer un peu de lumière à l’intérieur de moi. Sauf cette fois-ci. Je ne pensais qu’à regarder mon téléphone pour voir si tu m’avais répondu, ce qui n’était pas le cas. Je me suis dit qu’il fallait que je me ressaisisse. Que je ne pouvais pas accorder tant d’importance à un texto.

Je suis retournée chez moi. Mon trois et demi me donnait l’impression d’être plus grand. Je m’y retrouvais seule confrontée à l’immense peine qui prenait l’ensemble de la place. Je me suis endormie tard. Plus par épuisement que par une réelle envie de sommeil.

fille qui dortSource image: Unsplash

Jour 2 post-rupture

Je me suis réveillée tôt. J’aurais aimé me réveiller plus tard pour me faire perdre quelques heures de la journée. J’ai eu de la misère à me lever du lit. Je n’ai mangé qu’un misérable yogourt que j’ai fini par éliminer de mon corps quelque temps après.

J’étais déprimée par l’entretien ménager que je m’étais donné comme tâche. Je me suis dit que j’étais pour faire de l’ordre dans mon environnement si je n’étais pas capable d’en faire dans ma tête. J’ai fait mon ménage sur le pilote automatique de façon machinale avec une lenteur complètement démesurée.

Je suis allée prendre ma douche. Depuis quand prendre une douche, activité de la vie quotidienne, semble être un fardeau? Sentir l’eau chaude couler sur ma peau m’a fait du bien, ça faisait différent des larmes froides. Je me suis préparée en utilisant un peu plus de cache-cernes qu’à l’habitude.

fille dans la douche brumeSource image: Unsplash

J’ai pris mon auto jusqu’au restaurant. Je suis allée à l’intérieur et j’ai posé les yeux sur cette table où nous avions mangé quelques semaines plus tôt. Je me suis assise à une autre en y faisant dos. J’ai regardé à l’extérieur. J’avais l’impression que j’étais dans un rêve. J’avais l’impression d’être là sans y être. Mon cerveau me protégeait en me paralysant partiellement.

J’ai roulé jusqu’à chez moi. Les larmes m’aveuglaient davantage que s’il avait plu. J’ai regagné mon lit. J’ai regardé une fois de plus mon téléphone. Pas de nouvelles. J’ai perdu mon temps à faire je ne sais plus trop quoi. J’ai pris la dose de médication que je suis autorisée à prendre quand ça ne va vraiment pas et je me suis couchée en attendant que le comprimé exécute sa magie.

Jour 3 post-rupture

Je me suis réveillée encore tôt. J’ai mangé par principe plus que par faim.  Mon corps n’a encore une fois pas voulu coopérer et je suis retombée en tête à tête avec la cuve. Heureusement que j’avais fait mon ménage la veille, c’était un peu moins déprimant. Je me suis demandée si tu avais pensé à moi. Je me suis remise à ravoir le haut le cœur en pensant que peut-être non.

femme assise près de la fenêtre qui ne mange pas son repasSource image: Unsplash

Je me suis dit que j’irais à l’épicerie et m’achèterais n’importe quoi qui me donnerait un peu d’intérêt à ingérer un quelconque apport calorique. Je me suis arrêtée au Tim Hortons. J’ai mangé sans goûter. Je suis rentrée à l’épicerie avec une liste d’une dizaine d’articles. Après en avoir récupéré la moitié, j’ai ressenti encore une fois mon souffle devenir plus court. J’ai abandonné les cinq autres articles et me suis dirigée vers la caisse pour m’en aller vite. Qu’est-ce qui m’arrivait ?

Je suis allée me chercher des anti-nausées à la pharmacie. J’aurais aussi aimé sortir avec le remède du sourire. Je suis revenue chez nous, j’ai dormi avec le chat. Ça m’a fait du bien de le voir se blottir contre moi. J’ai écouté des chansons tristes de Charlotte Cardin en boucle. Je me suis endormie.

À mon réveil, ma mère m’a appelée. Je suis partie à pleurer comme si je venais de me casser un bras. C’était mon cœur qui était cassé et j’aurais aimé que ça soit un membre pour m’éviter cette tourmente intérieure. Elle voulait venir me voir. Je ne voulais pas l’embêter.

J’avais la triste impression que la confiance que je m’étais construite ces dernières années tentait de me filer sous les doigts. J’avais l’impression d’être difficile à aimer, je me sentais un fardeau. Je me suis fait des gaufres, celles que tu aimais tant. J’ai réussi à manger tout le contenu de mon assiette.

Je me suis rendue au travail. J’ai pris ce vieux papier chiffonné que j’avais jeté dans mon classeur avec le numéro du PAE. J’ai composé les chiffres sur le téléphone. J’ai raccroché avant que j’obtienne la ligne. J’ai repris l’ascenseur jusqu’au qautrième avec la même boule dans la gorge que le vendredi précédent. Je suis arrivée pour faire la lecture de dossier. Je lisais sans assimiler le message. On aurait dit que j’avais oublié comment faire mon travail. Je n’avais aucune concentration. Ça s’est fait jusqu’à l’heure du midi.

Je suis redescendue à mon bureau et j’ai repris le combiné en attendant une réponse cette fois-ci. Une femme m’a répondu. Elle m’a demandé l’objet de mon appel. Je lui ai répondu: « je pense que j’ai besoin de parler à quelqu’un. Je vais pas trop bien ». Elle m’a demandé si j’étais en arrêt de travail. J'ai dit: « non, j’appelle parce que j’ai l’impression que je pourrais le devenir». Elle m’a demandé la raison de la consultation. «C’est pour être plus productive au travail. Ben en fait, c’est pas vraiment ça.... c’est pour.... une rupture amoureuse. Je n’ai pas de restrictions ou de préférences quant au choix du professionnel, celui qui a le moins d’attente à son horaire me convient, j’ai juste besoin de parler.»

fille avec le visage éclairé par son téléphoneSource image: Unsplash

Elle m’a félicitée de ma démarche comme je prends soin de le faire avec mes propres clients et m’a dit qu’un professionnel m’appellerait dans deux jours ouvrables. J’ai raccroché le combiné. J’ai eu envie de dîner dans mon bureau face à ce mur gris qui reflétait la couleur que j’aurais pu donner à mon humeur. Je me demandais vraiment comment j’allais passer au travers de ma journée de demain, du surlendemain et de la semaine puisque j’avais peine à passer au travers d’une demi-journée. L’après-midi s’est déroulée avec un peu plus de concentration.

Je suis revenue chez moi par la suite. J’ai réintégré mon lit en me demandant quand cette perte d’intérêt pour tout ce qui m’entoure allait enfin me quitter et ne plus revenir. J’étais en colère contre moi-même. J’étais en colère parce que je n’étais pas capable de focaliser mon attention sur autre chose que toi. J’aurais aimé me lever la tête bien haute en me disant que tu ne méritais pas ma peine puisque tu ne la vivais sûrement pas.

Je me suis dit et je l’ai pensé sincèrement, j'espère que tu n'as pas mal. J’espère que tu n’y penses pas parce que je ne te souhaite pas de ressentir ce mal-là. Ce n’est pas quelque chose qu’on souhaite à personne.

J’avais envie de t’écrire. Je préférais l’ignorance que d’encaisser un autre rejet qui allait me faire encore plus de mal. C’est là que j’ai commencé à faire le récit de mes dernières journées pour tenter de mettre un peu de couleur sur mes pensées grises, ce qui m’a amenée à t’écrire ce texte. À ce toi fictif, à défaut de ne jamais l’avoir envoyé au toi réel.

Source image de couverture: Unsplash
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