Imaginez un duo qui danse comme s’il partageait le même cerveau, mais sans jamais perdre la personnalité unique de chacun·e. C’est un peu ce que propose Catch Step avec leur première création de longue durée présentée à La Chapelle | Scènes contemporaines : Catch step HYA Remix, un spectacle électrisant où la précision du mouvement rencontre l’énergie brute de la danse de rue.
Formé en 2022, le groupe — Anaïs Chloé Gilles (RISE), Delande Dorsaint (Djungle) et Victoria Mackenzie (VicVersa) — s’entoure ici d’un poids lourd de la scène street dance québécoise, Handy “HYA” Yacinthe, pour chorégraphier, une œuvre qui prend la forme d’un « remix ». La chorégraphie offre une architecture physique complexe, inspirée par l’environnement scénique et les corps eux-mêmes. Entre house, vogue et autres langages issus de la danse de rue, les interprètes sculptent un dialogue organique à partir d’une complicité palpable et de beaucoup de talent. L’alternance entre moments d’unisson et solos crée un rythme jamais figé, où chaque geste devient écho d’un autre. Rien n’est laissé au hasard, pourtant tout reste ouvert, souple, vibrant.
The Floor Is Lava
La scène est peuplée de chaises pliantes – du genre qu’on sort dans les fêtes de famille, instables, qu’on ose à peine toucher – sauf que ces interprètes, agiles comme deux singes assis à la table des enfants, font mille et une galipettes dessus. Et malgré leur fragilité, tout se construit sur ces petites chaises noires : équilibre, tension, rebonds. Cette fondation précaire devient à la fois terrain de jeu et piège pour ces interprètes qui glissent, sautent et groovent. C’est à la fois casse-gueule et parfaitement maîtrisé.
5-6-7-8
Bien qu’il et elle lâchent leur fou à la fin du spectacle, la performance ouvre d’une manière calculée, presque rigide. Les danseur·euses jouent avec les comptes de huit temps comme avec des battements de cœur. Ils s’unissent, se séparent, se désynchronisent puis se retrouvent, avec une précision virtuose. Leurs membres rappellent des blocs de Tetris faits de chair : chaque geste s’imbrique, chaque vide est rempli par le corps de l’autre. Le duo met en lumière la portion mathématique de la danse, sa part mécanique, habituellement censée demeurer cachée aux yeux du public. Il et elle mettent au jour les coutures qui permettent de tisser une partition cohérente; défont l’illusion qu’une chorégraphie synchronisée fonctionne toute seule d’instinct.
Don’t Kill the DJ
La musique, quant à elle, ne se contente pas d’un tout de petit espace dans un haut-parleur. Elle est incarnée, vivante, partie intégrante de la chorégraphie et se joue à même la scène aux côtés des danseur.euse.s. Le DJ et la chanteuse deviennent des personnages phares de Catch step HYA remix. La trame sonore, signée par Lunice, avec EENO T et Magnanimous, est un spectacle en soi. En constante mutation, elle se fond dans les corps ou les met au défi. Elle ne soutient pas la danse : elle la provoque, la questionne, la désorganise. Une chanson live surgit comme une brèche sensible au milieu de cette mécanique bien huilée – instant suspendu, presque fragile.
C’est précis, sans jamais être dénué d’émotions. C’est une démonstration de talent, mais surtout de complicité, de confiance, de risque partagé. C’est une symbiose brillante entre mouvement, son, espace et intention. C’est plein d’âme. Catch Step HYA remix fait de la danse un réel dialogue, entre passé et présent, entre musique et danse, entre corps et environnement. À voir jusqu’à demain à La Chapelle | Scènes contemporaines.
Image de couverture via La Chapelle, © photo : Duc Nguyen Huu