Je ne veux pas être mère.

Pas parce que je n’aime pas les enfants, pas parce que je ne suis pas assez généreuse, ou dévouée, ou solide, ou bienveillante ou responsable. Moi aussi, je suis émue devant le ventre bien rond d’une femme enceinte, devant un nouveau-né tout rose qui sourit à la vie pour la première fois, devant un allaitement, des premiers pas, des premiers mots… Moi aussi j’ai rêvé d’une famille, d’un époux aimant, d’une petite fille à qui tresser les cheveux. Il m’arrive même de noter des prénoms que j’aime, de me dire « moi, mes enfants, je voudrais les élever selon tel modèle, je voudrais leur apprendre telle ou telle notion, je voudrais être tel type de mère pour eux ». Pourtant, je ne veux pas être mère.

Parce que je sais que je trouverais ça difficile.

Parce que j’ai violemment peur de donner la vie.

Parce que j’ai le sentiment creux que je ne serais pas à la hauteur, que je regretterais ma décision très vite, que j’aurais envie d’abandonner.

Souvent, on me rassure : « Tu vas voir, ça va venir. C’est normal qu’à vingt ans tu ne te sentes pas encore prête. Tu vas être full une bonne mère ! » J’aimerais me dire que c’est vrai… Qu’un jour, à l’aube de ma trentaine, je pourrai soudainement me projeter en tant que mère de famille. Qu’il faut juste que je me donne le temps et que l’horloge biologique va finir par sonner au bon moment… Quand j’aurai un chum tendre et mature à mes côtés, un travail stable, une maison, une voiture. Quand je n’aurai plus de passions, ni d’envies d’aventures. Quand j’aurai le besoin d’une distraction « Voilà ! J’ai trouvé ! Pourquoi ne pas faire un enfant ? ».

femme bébé mère maman fond coloréSource image: Unsplash

J’ai déjà plusieurs amies de mon âge qui ont des enfants. Et ces femmes-là, elles en voulaient depuis toujours de la marmaille en quantité. Petites, elles jouaient à la poupée en comptant le nombre d’années manquantes avant d’avoir enfin l’âge de procréer. Ces femmes-là ont rêvé de vite trouver leur âme soeur, avec comme critère numéro un « vouloir devenir papa au plus criss ». Elles ont terminé leurs études rapidement et enfin, voilà qu’elles peuvent commencer à vivre.

Puis, il y a moi : vingt-quatre ans, aux études depuis une éternité déjà et au minimum pour trois autres années. J’ai du mal à m’occuper de moi-même, mes émotions sont des ascenseurs d’hôpitaux, j’aime dormir plus que tout au monde, je mange du Kraft Diner une fois par semaine par lâcheté, je me soûle de temps en temps pour me sentir en vie, je me sauve du pays dès que mon compte bancaire le permet. Je profite de ma jeunesse.

Oui, d’accord.

Mais à trente-quatre ans disons (si je m’accorde une dizaine d’années), je me vois où dans ma vie, ou plutôt comment? J’en ai aucune espèce d’idée. Sauf que j’ai une forte impression que je serai pauvre, que j’habiterai encore dans un petit trois et demi dans Limoilou à 700 piasses par mois avec mon vieux chat gris. Je me vois libre, me promenant sur la 3e Avenue, le sac réutilisable rempli de légumes bios sous le bras. Je me vois en amour, peut-être… fiancée – parce qu’on peut toujours rêver. Mais je ne me vois pas mère. Je me vois LA meilleure tante de l’univers, LA marraine la plus cool, LA gardienne à temps perdu de tous les petits monstres de mes ami.e.s. En avoir un à moi, un monstre? Pourquoi? Je ne ressens pas la nécessité d’enfanter, de me photocopier, de donner la vie, MOI particulièrement.

femme mère maman bébé brasSource image: Unsplash

Peut-être qu’un jour, j’adopterai. Oui. Mais alors, ce ne sera pas dans le but d’avoir mon mini-moi-pareil-que-moi dans les pattes. De sentir que mon corps a eu l’extraordinaire force de vivre cette belle et atroce épreuve qu’est l’accouchement. J’adopterai si j’ai les moyens de prendre soin d’un enfant qui n’a pas eu de chance en venant au monde. Et rendue là, je me sentirai utile de pouvoir lui transmettre tout l’amour que je peux avoir. D’être assez mature financièrement et émotionnellement pour m’occuper de cet être précieux. Je serai tellement fière.

Mais si ça n’arrive pas – parce que c’est une possibilité – je n’en serai pas plus malheureuse.

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