Début janvier. Une semaine de froid mordant. De grands vents. De neige et de verglas. De pneus d’auto qui glissent. De pas qui crissent. Je suis seule chez moi. Allongée sur mon divan, j’feel moumoune. J’ai peur. Peur de tout. De l’extérieur. De l’hiver. De ma solitude. Des autres. De mes choix. Présents et à venir. Des tâches à accomplir. Bref. Ma peur est globale, diffuse. Confuse, je suis. Paralysée. Telle une skieuse en haut d’une piste trop abrupte pour son parallèle débutant. Pire. Son chasse-neige. Je me sens bloquée. Prise au piège. Ne pouvant ni reculer, ni avancer. Je me répète : « J’serai pas capable. J’peux pas. J’capote. » Surtout, ne pas enlever mes skis et descendre à pied. En plus d’être moumoune, je serais humiliée.

Peur irrationnelle. Hors proportion. Catastrophisation. Soudainement, la vie semble trop grande pour moi. Menaçante. J’avance, chancelante, comme une enfant qui marche dans les souliers de sa maman. Je joue à l’adulte. Je joue faux. Je doute de moi. De tout. Je craque de partout.

J’appréhende la fin des vacances et le retour au travail. Je pense à mes cours à préparer. Mes classes à donner. Mes ateliers à animer. Chaque année, l’éducation et le bien-être d’une centaine de personnes sous ma responsabilité… Moi qui trouve ces rôles habituellement stimulants et gratifiants, me voilà aux prises avec la nausée. Car qui suis-je pour remplir correctement ces engagements?

Il me semble qu’hier encore, j’avais vingt ans, dix ans, un an… Que j’étais un bébé naissant. Fragile. Dépendant. Et me voilà trentenaire. Dans un corps vieillissant. Pourtant tout aussi démuni qu’avant. Un corps craignant de sortir. Craignant de nouvelles égratignures. Parce que la vie, des fois, c’est dur.

« Mais envoye donc, fais un p’tit effort pis sors un peu dehors! » Non, bon. Je ne veux pas sortir dehors, compris? Je ne veux pas mettre ma tuque, mon manteau, mes bottes, mes mitaines. Je ne veux pas affronter ce vent glacial, comme mille coups de fouet au visage. Je ne veux plus vivre constamment sur la défensive. Armée jusqu’aux dents. Du pompon aux crampons. Priant de ne pas tomber. Sur des trottoirs-patinoires. Des rues-pataugeoires.

trottoir_patinoire

Source: journaldemontreal.com

Je sais pourtant profiter des joies de l’hiver : ski, raquette, jogging, marche, patin. Je me pointe le nez dehors peu importe le verglas, le facteur vent, le blizzard, la tempête, la neige, le pas de soleil. Oui, malgré les températures sous zéro, je me donne un coup de pied au cul et je sors. Et souvent, je m’en réjouis. Parce qu’il y a de ces journées hivernales qui me réconcilient avec la nordicité de mon territoire : l’air froid qui réveille, purifie, revigore; la neige qui scintille au soleil; le ciel couleur pastel… C’est beau, je l’avoue. Mais parfois, c’est plus fort que moi, je feel moumoune. Et tout ce que je désire, c'est de rester bien au chaud, à la maison, dans mon petit cocon. Surtout, ne pas sortir, ne pas me faire violence. Ne pas transformer le « c » de douceur en « l » pour douleur. Mais je sais, je le sais! Moumoune ou pas, un moment donné, il faut sortir. Car sortir est un mal nécessaire. Vital. On ne peut pas passer sa vie en position fœtale.

Sortir demande un effort. Comprend un inconfort. Présente un risque, une menace, un danger. Car sortir, c’est s’exposer. S’exposer aux autres, aux imprévus, aux intempéries de la vie. C’est se présenter dans l’arène tel que l’on est. Petit, vulnérable et imparfait. C’est risquer le lien. Et le rien. Risquer de se faire accepter ou rejeter. Applaudir ou huer. Finalement, sortir, c’est avoir le courage d’accueillir ce qui vient. Et avoir confiance que, peu importe ce qui arrive, on s’en sortira.

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Source: photo.neufmois.fr

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