Ce soir-là, je t’ai dit qu’un jour, j’écrirais pour toi.
 
Parfois on entend les gens sans pourtant les écouter, c’est sans doute ce que je fais trop souvent. On laisse les mots entrer sans s’attarder parce que ça rend tout plus léger, comme on parle sans rien dire pour habiller les silences.
Avec toi, on n’avait jusque-là qu’habiller les silences et malgré cela, un soir, j’ai tenu à t’écouter pour la première fois. On m’avait dit que je t’avais jugé trop vite, que j’avais mal entendu. Je n’ai pas l’oreille, il faut croire. J’ai voulu te rencontrer à nouveau, me présenter au-delà de nos équivoques. Et alors que je me préparais à en apprendre sur toi, je me suis rencontré e moi. On est jamais prête à ça.
J’ai été emparée par quelque chose de plus fort que moi. Quand on entend, c’est momentané. Quand on écoute, ça perdure un temps. Mais ce que tu m’as dis, ça a joué en boucle dans ma tête pendant des jours. Ça n’a peut-être pas paru, mais je suis partie plus tôt que prévu ce soir-là, parce que je devais m’isoler et prendre le temps de faire ce qu’on devrait tous faire après les discussions: comprendre.
Ces quelques minutes près du foyer ont mieux défini l’expression «Reality check» qu’Urban dictionary.
Tu sais, j’ai toujours cru qu’au fond, on est tous comme des puzzles géants. On a une idée de ce a quoi on ressemblerait une fois complètement construit, mais on ne peut jamais en être certain, parce qu’il nous manque toujours des pièces. Parfois on cherche un morceau de nous en particulier, un morceau qu’on anticipe depuis longtemps, parce qu’il complète une part de nous. Parfois on s’imagine que le tableau est déjà complet, parce qu’on y voit parfaitement l’image, mais on tombe sur une pièce qui change tout. Ce soir-là, va savoir pourquoi, tu avais vraisemblablement une pièce qui m’appartenait.
Ce qui me fascine le plus, c’est qu’on ne se connaissait qu’à peine, mais malgré tout tu m’as rendu une part de moi. Ça rend ce soir-là encore plus fondamental.
Tu m’as appris le sens du mot «impact». Et moi qui croyais être douée avec les mots.
J’avais vu l’Effet papillon pourtant.
Tout ça parce qu’alors que je ne t’avais encore jamais véritablement écouté, je t’ai pris dans les filets de mes dommages collatéraux. À première vue, tu me rappelais la source de mes insomnies, le monstre caché dans ma garde-robe. Un jour, je t’expliquerai, ou peut-être jamais.
Pour me protéger, j’avais voulu embarrer mes démons dans un tiroir et tu y es resté coincé. On m’a répété souvent que d’éviter les corvées ne me permettrait jamais de faire le ménage. Moi, j’appelais ça la logique à l’état pur. Il n’y a pas plus propre qu’un tiroir condamné. On me disait que cela me rattraperait un jour. Je répondais que par chez nous, les tiroirs ne s’ouvraient pas seuls.
Mais tu étais pris dedans, et suffisamment fort pour l’ouvrir.
Ce soir-là, tu m’as rappelé que je n’aurais jamais dû laisser la peur d’affronter mes démons t’enfermer dans mes tiroirs. Toi, pourtant si lointain de moi, tu as subi les contrecoups de mes contrecoups.
Et j’ai réalisé que j’étais moins bonne que ce que j’espérais de moi-même, que mon puzzle était moins coloré que dans mes fantaisies.
Parce que j’ai condamné quelqu’un sans l’écouter.
 
J’en suis plus que navrée.
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