Montréal, c’est le chat que tu adoptes à la SPCA parce que tu le trouvais oh combien mignon avec ses petites pattes poilues, ses drôles de taches blanches sur le dos, son petit museau mouillé et ses yeux qui louchent étrangement quand il voit son bol de nourriture. Au début, tu l’adores, tu le veux tout le temps sur toi, tu veux le flatter, le cajoler, le décorer de baisers, t’enivrer de son parfum de matou roi. Tu le prends en photo partout, n’importe comment, n’importe quand. Regardez comme il est mignon sur le sofa, observez sa belle fourrure blanche, ses yeux d’un vert puissant et son élégance innée de félin des ruelles de Westmount! Et puis, tu t’habitues et petit à petit, le chaton devient chat et les photos instagram s’épuisent… Il t’ignore, te nargue, s’enfuit lorsque tu tentes de le câliner, te griffe, te mord, te montre les dents lorsque tu lui refuses un morceau de ton bagel matinal… Et peu à peu, tu apprends à l’apprivoiser, à lui donner son espace, à prendre ton temps pour le découvrir et pour que lui aussi te découvre. Et un jour, tu te rends compte qu’il n’est pas si mal malgré tout. Qu’entre deux morsures, il y a ces ronronnements de plaisir qui t’émeuvent.

chat, fenêtre, appartement

crédit photo : Isabelle Boudreau

Montréal, c’est la ville qui te faisait rêver plus jeune. Dans ton Gatineau natal, tu voyais Montréal comme la salvatrice de tes jours ennuyeux, comme le jardin d’éden du magasinage, comme le paradis des cafés de cupcakes. Montréal, c’était le New York de tes Gossip Girl, le Paris de tes jumelles Olsen, le Los Angeles de ton 90210. Tu t’imaginais marcher en talons hauts sur Sainte-Catherine (la seule rue que tu connaissais), des sacs de boutique à la main, un café vanille française dans l’autre (le seul café que tu buvais, car tu espérais secrètement qu’il te donne du style). Tu serais en pleine conversation avec tes amies du secondaire (car elles seraient toutes avec toi et vous seriez bien sûr encore toutes très proches, colocataires même!) Tu trébucherais, encore piégée par ta maladresse, vous poufferiez toutes de rire, et un jeune et bel artiste s'arrêterait pour te prêter main forte avant de te demander ton numéro de téléphone... Montréal, c’était le décor de ton roman d’amour et l’arrière-plan de ta jeunesse épanouie de fleur de macadam.

vélo, appartement, raquettes

crédit photo : Rebekah Smith

Quand tu as enfin déménagé, tu t’en es pris plein la gueule. Tu n’habitais pas à deux pas du Forever 21, tu n’avais pas d’électros en stainless steel, et quand un gars t’approchait, ce n’était pas le bohème aux yeux dorés de tes songes de préadolescentes, mais plutôt le quinquagénaire dodu qui trouvait important de te dire qu’il «voudrait bien masser ce p’tit cul-là». Tu as très vite compris qu’un skinny latte à la vanille du Starbuck à 5,35$ était devenu un luxe inaccessible pour l’étudiante que tu étais, et que tu allais lentement perdre de vue les grandes confidentes de tes quinze printemps. L’hiver est arrivé. Avec lui, les visages livides dans les métros se sont entassés sur tes jours et bientôt, tu es devenue l’un d’entre eux. Tu levais la tête et il faisait gris, tu baissais les yeux et il faisait sale et la nuit claire ne laissait voir aucune étoile. Tu as appris à tenir un budget, à regarder le prix des choux-fleurs à l’épicerie, à courir pour ne pas manquer le dernier métro de la ligne bleue et à marcher vite les clés bien serrées dans ta jointure le soir pour rentrer chez toi. Tu as appris à te sentir bien insignifiante dans ton quatre-et-demi avec ses murs de plâtre qui te permettaient d'«apprécier» les pratiques de flûte à bec du petit voisin…

Puis, l’été est revenu, tu as appris à sortir de chez toi, à marcher les yeux bien ouverts pour ne rien manquer du spectacle que t’offraient les ruelles décorées de vêtements multicolores séchant au soleil. Tu as appris à sourire devant cet homme qui se réveille tôt pour peinturer le parc Jarry sous le soleil, à hausser les épaules en entendant les invectives du fou du métro et à savourer ton café glacé du café du coin oh combien mérité. Tu as appris que Montréal s’apprivoise, et que malgré quelques griffures, parfois, bien souvent même, elle ronronne sous tes caresses. 

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