J’ai huit ans, je suis assise sur un sofa en cuir noir confortable, j’ai une petite robe propre et mes collants me piquent les genoux, mais je suis trop occupée à zieuter avec gourmandise le bol d'arachides au barbecue qui a été déposé en face de moi sur la table à café. Ma mère tient ma petite sœur, encore bébé, dans ses bras, ma grande sœur est assise en indien sur le fauteuil et mon petit frère s’agite sur les genoux de mon père. Autour de moi, des visages inconnus qui discutent tout bas comme si le sacré de l’évènement imposait à lui seul le silence. Tous ont les yeux rivés sur l’écran de télévision qui s’anime devant nous. Soudain, des cris de joie, des applaudissements, ma mère laisse échapper quelques larmes et embrasse la joue de mon père, fière, mon petit frère fait quelques pas de danse maladroits et moi je regarde le bol d'arachides… Il n’en reste plus.

La lumière est aveuglante et une tonne de yeux nous regardent. Ils sont heureux tous ces gens. Ils crient dans un chahut incompréhensible, mais ma mère et mon père sourient alors je souris moi aussi. Une caméra s’approche de nous et je me décide à avancer un peu plus près du lutrin. Je veux qu’on me voit, car j’espère bien fort que cette première apparition télévisuelle sera le début d’une carrière prometteuse comme actrice de cinéma. Mon père parle au micro, les gens applaudissent et scandent son nom. Moi, je me sens comme une star.

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Mon père a donné dix années de sa vie à la politique.

J’ai grandi avec un père que je ne voyais que les weekends. Un père stressé,  parfois impatient, trop souvent dans ses papiers ou au téléphone, mais qui était toujours le premier à se lever pour applaudir mes solos au spectacle de fin d’année de l’école. Un père qui essayait tant bien que mal de nous conseiller en tant que futurs adultes, mais qui ne nous connaissait pas tout à fait ou du moins pas assez à son goût, à notre goût. J’ai aussi grandi avec ce père travaillant, passionné, aimant, drôle et humble. Cet homme qui est assurément un très grand orateur. Un homme charismatique et intelligent et surtout une personne respectée par les gens qui le côtoyaient, qu’ils soient partisans de son parti ou du parti adverse, chose qui est plutôt rare dans son milieu. Pour les gens qui connaissaient bien la politique, je n’avais jamais peur de dévoiler son nom, car je savais que j’allais avoir en retour de grands sourires et des paroles admiratives. Mon père était un bon politicien, qui avait à cœur son travail et ses concitoyens et de ça, je n’en ai jamais eu honte.

Être fille de politicien, ça implique aussi que tu n’as pas le droit d’avoir une opinion politique lors des discussions entre amis, car « toi , on sait ben tu penses, comme ça à cause de ton pèèère ». Pourtant, mon père nous a toujours rappelé qu’il était important de se forger notre propre opinion politique, de s’informer et de choisir selon nos valeurs le parti politique qui, à ce moment de notre vie, correspond le mieux à nos intérêts. Il a même toujours refusé de nous dire pour qui il votait lors d’élections. Je sais que je peux voter pour n’importe quel parti politique, même si celui-ci est en opposition complète avec son choix et ce, sans aucune gêne. Il nous a toujours mis très à l’aise et pour ça, je lui en serai toujours reconnaissante.

Alors que petite, je hurlais haut et fort le métier de mon père à mes camarades de classe, avec fierté et peut-être un peu de vantardise, j’ai bien appris, avec les années, à garder sous silence la carrière de mon père qui, trop souvent, amène la controverse et même parfois le mépris. Aujourd’hui, sept ans après avoir quitté la politique, mon père recevra dans deux semaines un des plus prestigieux prix au Canada pour son travail pour la francophonie canadienne et j’aimerais être capable de le dire haut et fort que, oui, je suis très fière de mon père.

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