Le premier jour où j’ai poussé les portes tournantes de l’Université, j’étais probablement aussi nerveuse que lorsque la jeune Hermione Granger a enfilé sa robe de sorcier pour la première fois. Pour moi, l’université était un immense monde nouveau et rempli de possibilités. Et, lorsque je pensais à la situation mondiale des femmes (que certaines ne puissent même pas  étudier assez longtemps pour savoir lire), et à la situation économique (que plusieurs n’ont pas les moyens d’accéder à une éducation supérieure), je me trouvais dont chanceuse de pouvoir y être. Exactement comme, j’imagine, Hermione se sentait par rapport à Poudlard et au reste du monde moldu.

hermione, harry potter, poudlardSource :IMDB

Eh, c’est quoi les chances qu’elle –parmi tant d’autres moldus ordinaires- soit choisie pour entrer dans cet univers-là!?

Je pense que ce grand sentiment de gratitude a largement contribué au fait que nous étions toutes deux des étudiantes modèles qui bûchaient fort pour n’avoir que des « A ». Comme elle, j’avais une moyenne admirable. J’ai eu des félicitations des profs les plus sévères, mes dissertations ont été publiées sur plusieurs sites et... je me tuais à la tâche.

Ce sentiment de gratitude, qui me paraissait si magique au départ, s’est mis à peser 1000 livres dans mon sac d’école. Je n’avais plus de plaisir; j’étais stressée - angoissée, même. Lorsque ce n’étaient pas mes travaux de fin de session qui me gardaient réveillé, c’était la question de « Pourquoi moi? ».

« Pourquoi, moi, j’avais la chance de pouvoir étudier dans le domaine de mon choix? »

« Pourquoi, moi, j’avais la chance d’être née dans un pays où les filles peuvent étudier tout ce qu’elles désirent? »

« Pourquoi? Qu’est-ce que j’avais fait, dans mon ancienne vie, pour mériter ça? »

Je n’avais pas de mot pour décrire mon sentiment, qui, dans ma tête, était irraisonnable. Je n’avais pas le temps de me préoccuper de  questions dont je ne connaitrais jamais la réponse! Alors, je me suis mise à percevoir ma situation comme si elle était un syndrome de ma chance; je devais apprendre à vivre avec.

Le syndrome, c’est d’être tellement sous pression de performer que l’on souhaiterait avoir un retourneur de temps pour pouvoir en faire toujours plus. Le syndrome, c’est de toujours viser à devenir la plus brillante de son école. Le syndrome, c’est de voir l’expulsion/l’échec comme un sort pire que la mort. Mais pourquoi? Quand est-ce que j’ai commencé à sentir que je devais prouver mon droit, et mon mérite, envers la chance qui m’était donnée? Au fond, quand est-ce que j’ai commencé à me sentir comme une impostrice au milieu de ma vie?

Je ne sais pas quand est-ce que ce sentiment s’est infiltré, parce que probablement qu’il a toujours germé en moi. Par contre, je sais quand est-ce qu’il commencé à disparaitre; lorsque j’ai été diagnostiquée avec une dépression majeure et que j’ai été forcée d’arrêter mes études. Rien que ça. La pression de performance était rendue si lourde qu’elle m’empêchait de me lever du lit.

Aujourd’hui, suite à un changement de vie, à de la bonne médication et à un bon thérapeute, je vais beaaaauuuuucoup mieux. Par contre, je sens parfois revenir ce sentiment rampant de ne pas être à la hauteur, de n’être destinée qu’à des échecs. Et je sais que je ne suis pas unique, cette situation et ce syndrome touchent une très grande partie de la population moderne. Le sentiment de gratitude est essentiel dans notre course vers le bonheur. Sans lui, il est facile de commencer à tenir les choses pour acquises. Par contre, je crois qu’à grand dosage, il peut devenir dangereux.

Source : Unsplash

Essayez de remarquer d’avance quand est-ce que votre fantastique nouvel emploi devient un poids à porter, quand est-ce que votre merveilleux et sexy nouveau chum se transforme en un monstre exigeant (qui n’est d’autre que vous-mêmes, on s’entend). Essayez de remarquer quand est-ce que vous commencez à ne pas vous sentir « assez » pour mériter tout ce que la vie vous a envoyé.

Et essayez de vous refocaliser sur le fait qu’Hermione méritait sa place à Poudlard, non pas parce qu’elle était la plus brillante, mais tout simplement parce qu’elle était une sorcière, comme les autres.

Essayez de vous rappeler que vous n’avez pas à prouver à l’univers que vous avez droit à la chance qu’il vous a envoyée; c’est acquis, sinon vous ne l’auriez jamais eu. Ayez toujours de la gratitude, bien sûr, mais ayez également assez confiance pour savoir que vous êtes « assez » face à absolument toutes les belles choses que la vie vous envoie.

Et de penser qu’on doit mériter les belles choses veut aussi dire qu’on doit mériter les mauvaises- et que toute cette question de mérite, au fond, est un grand « avada kadavra » face à la joie.

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