J'ai 15 ans. Je suis seule dans ma chambre par un dimanche pluvieux. Je regarde par la fenêtre, rêveuse, et j'imagine que le jeune homme duquel je suis éprise, celui qui me fait noircir de mots tendres des pages entières de mon journal intime, arrive à l'improviste chez moi et cogne à ma porte. Je me ferme les yeux un instant et je le vois, lui, beau, devant moi. Il me sourit. « Look at me. I'm as helpless as a kitten up a tree... » Il me dit qu'il m'aime depuis le cours de biologie où nous avons disséqué un œil de bœuf ensemble. Côte à côte, nos mains qui se frôlent en s'échangeant les outils, nos sourires complices à la fois dégoûtés et curieux... Je lui avoue que moi aussi, je garde un bon souvenir de cette activité scientifique empreinte de romance toute juvénile. C'est alors qu'il me prend la main. « I can' t understand, I get misty, just holding your hand. » Je rougis. Il se rapproche. Je fais un pas devant. Et au moment où nos bouches vont enfin se toucher... j'entends la musique électro-geek énervante de Final Fantasy qui démarre plein volume dans la chambre d'à côté. Décidément, mon frère a décidé d'occuper son dimanche avec autre chose que la rêverie. Ainsi prenaient fin mes songes éveillés d'adolescente timide : la voix majestueuse de Sarah Vaughan et son Misty issu d'une autre époque interrompus par le vacarme technologique insupportable de mon frère.
Étrangement, mon imagination romanesque d'adolescente était plus émoustillée par les standards jazz que par la voix rauque de Bryan Adams. Le jazz et sa mélancolie qui parfois berce, parfois bouleverse, me transportaient dans une autre époque et me faisaient rêver. C'est encore ainsi aujourd'hui. Je me suis donc empressée d'accepter l'invitation du bistro bar à vin le Modavie qui célébrait le rafraîchissement de son établissement le mercredi 29 mai dernier. Par une journée pluvieuse. Comme quand j'avais 15 ans.
Le Modavie s'affaire depuis 15 ans à faire connaître et apprécier le jazz à ses clients. La preuve : dès mon arrivée au restaurant situé dans le Vieux-Montréal, on m'a remis une compilation de pièces jazz (Greg Clayton et ses musiciens) enregistrées sur place. Misty y figurait. Ça m'a fait sourire.
Il est possible d'y entendre des musiciens live tous les soirs. Pendant que je dégustais quelques canapés, Sophie Tremblay (talentueuse chanteuse qui m'a renversée dans le rôle d'Éponine dans Les Misérables à Québec il y a quelques années) y allait d'une Bohème joliment interprétée.
Quoi de neuf au Modavie? Une nouvelle terrasse rue Saint-Laurent que la pluie nous a malheureusement empêché d'essayer. Un « branding » renouvelé, plus branché. Quelques nouveautés au menu. Une décoration revampée, plus moderne, mais qui conserve toutefois un caractère résolument classique. Du bois, de la brique, des vitraux, des couleurs chaudes comme le bronze et l'acajou. Au Modavie, c'est feutré, chaleureux, d'un charme plutôt cossu.
Fait indiscutable : au Modavie, l'agneau est excellent. C'est la spécialité de la place. J'ai goûté à un canapé agneau et fromage feta ainsi qu'à une côtelette d'agneau grillée juste à point et je l'avoue, j'ai « pogné » de quoi, comme on dit. Avec tout bon plat d'inspiration bistro français, on se doit de servir du vin de qualité et au Modavie, vous en trouverez une grande sélection. Pour ma part, j'ai préféré goûter à un cocktail nouvellement sur le menu, le French Mojito, soit un Mojito classique auquel on ajoute de la liqueur de framboise. Pas mal du tout!
Ça me plaît de savoir qu'il y a un endroit en ville où on célèbre le jazz à l'année. Avec le Vieux-Montréal en toile de fond, c'est encore mieux. Toutefois, ne vous attendez pas à y trouver beaucoup de jeunes dans la mi-vingtaine. Ce n'est pas un resto qui attire les hipsters et autres individus trendy-cool-YOLO. Le Modavie est davantage fréquenté par les 40 ans et plus, de ce que j'ai pu constater, du moins. Ce que je vous propose, c'est d'y emmener manger vos parents avant un spectacle au Festival international de jazz qui commence le 28 juin prochain. Vous pourrez ainsi vous régaler de l'agneau savoureux qu'on y sert, boire quelques verres et vous mettre tranquillement dans l'ambiance.
Et puis écoutez-en donc un peu, des fois, du jazz. Cet été, pourquoi ne pas redécouvrir les standards, les intemporels que vous avez certainement déjà entendus sans y porter vraiment attention? Après tout, c'est le « summertime, and the livin' is easy... ».
Photos : Fanny Lafontaine-Jacob
Bistro Le Modavie - bar à vin
1, rue Saint-Paul O.
Vieux-Montréal
514 287-9582
DÎNER
Lundi au dimanche : 11 h 30 à 15 h
SOUPER
Dimanche au jeudi :15h à 22 h 30
Vendredi et samedi : 15 h à 23 h