Il y a de ces évènements qui font prendre des nouveaux tournants à nos vies. Il peut s’agir de choses tristes comme de choses heureuses, qui forgent notre histoire à chacun et qui obéissent à ce qu’est la vie elle-même. Elles sont parfois appréhendées, parfois totalement inattendues. C’est ainsi qu’on évalue le degré du tournant pour se remettre sur le droit chemin, et mieux que le précédent. Il s’agit d’un principe quelque peu cyclique, je trouve.

Aujourd’hui, je fais changement de mes habituels articles, car j’aimerais me confier sur un de ces évènements qu’on pourrait qualifier de « sérieux tournant dans ma vie », et qui m’a particulièrement trottiné dans la tête ces derniers jours. À cause de mon jeune âge, je sais que je suis loin d’avoir tout vu, et qu’il en reste encore tant, mais celui-là s’est profondément gravé dans mon esprit. Et si nous commencions par le début?

Nous étions un vendredi de mai. Dernier jour avant la fin de semaine: les élèves de mon école secondaire se précipitaient tous vers leurs autobus respectifs pour rentrer à la maison. En temps normal, ce n’était pas mon cas. Mon autobus avait l’habitude d’arriver le dernier, soit quelques minutes après le départ des autres (je cherche encore et toujours la raison), et donc j’avais pris l’habitude de me réunir avec mes amies dans un coin. Mais pas cet après-midi. Mon autobus brandissait fièrement son numéro en deuxième place dans la rangée. Réjouie de cette subite ponctualité, je montai dedans sans plus tarder. L’école est située sur une montagne, alors l’autobus devait d’abord descendre une longue pente, puis après avoir longé une rue comportant deux dos d’ânes, devait traverser la route 116.

J’ignorais que nous n’irions pas plus loin ce jour-là.

L’autobus fit son arrêt, commença à avancer, puis à tourner à gauche. C’est alors qu’en regardant à ma gauche, je vis une voiture bleue s’approcher de nous à une vitesse anormalement élevée. Je remarquai aussi qu’elle ne ralentissait pas, à l’approche bien évidente de nous, une quarantaine d’élèves confinés dans un gros bus jaune.

D’autres élèves autour de moi se mirent à pousser des exclamations, et… peut-être connaissez-vous la suite. La voiture en question nous a frappés de plein fouet, si fort, avec tant de colère, que l’autobus s’est renversé. Le choc si immense en une pourtant si microscopique fraction de temps. Mes amies à ma gauche qui tombent sur moi. Moi qui tombe sur mon amie à ma droite. Ma tête. Un coup, deux coups, trois coups, puis plus rien. J’en déduis que j’avais perdu conscience. Ce n’est que quelques secondes (ou minutes?) plus tard que je me réveillai, quand près du quart de l’autobus avait été évacué. Mes mains et mes lunettes reposaient sur de la vitre cassée, et je remis rapidement ces dernières. Sans savoir pourquoi, je cherchai ensuite mon iPod (en pensant probablement et sommairement qu’il était mieux de ne pas le laisser là) et découvrit mon amie, le pied coincé sous un banc, ouvert et ensanglanté. La panique ne tarda pas à s’emparer de moi en prenant conscience que ce genre d’accident était vraiment arrivé. Pourquoi? Parce que, quelques mois auparavant, j’y avais pensé.

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Source: tvanouvelles.ca

Non, je ne suis pas en train de dire que je l’ai prédit. Mais un jour, j’avais songé à l’absence de ceintures dans l’autobus, et ce qui arriverait si celui-ci tombait dans un fossé. Tout simplement. Mais on m’expliqua plus tard que la raison d’une telle privation de la ceinture était qu’elle deviendrait dangereuse si l’autobus prenait feu, et surtout que les passagers soient des enfants. La structure de l’autobus avait été conçue pour amortir les chocs et prendre le flambeau du rôle de « sauveur de vies ». J’appris aussi que la voiture avait frappé presque précisément l’ancien emplacement du moteur, promettant une mort certaine.

Tremblante et toujours paniquée, je fus soulagée d’apprendre qu’aucun d’entre nous n’était mort, et que nos blessures étaient mineures. Les miennes se résumaient à des genoux éraflés, des coupures sur la main, des égratignures au visage et un mal de tête (qui devint peu après une commotion cérébrale). L’accident me repassait incessamment en tête, alors que je tournais vivement la tête vers notre autobus renversé, les autres élèves qui nous observaient depuis le leur, les voitures habituellement si rapides arrêtées, les autres blessés en pleurs, en sang, ou en collet cervical, mais mon regard s’arrêta sur le véhicule qui nous avait heurtés. Il était méconnaissable, les morceaux complètement désamorcés. Quelques pièces rabougries reposaient près de moi. Je voyais la jeune fille, étendue par terre, se faire ranimer en vain par les policiers. Le conducteur qui gisait sur son siège, immobile. Je me rappelai, étrangement, mes cours de conduite, qui me rappelèrent que le véhicule devait à tout prix faire attention aux usagers vulnérables (cyclistes, enfants, motocyclistes, etc)…mais que face à un autobus, la voiture elle-même devenait un usager affreusement vulnérable.

Ainsi, après avoir appelé mon père et avoir reçu le soutien d’enseignants et de conducteurs ayant assisté à la scène (que je ne remercierai jamais assez), j’ai finalement pu monter dans un autre autobus (j’étais horrifiée, mais finis par comprendre que c’était nécessaire) pour nous conduire à l’hôpital. En état de choc post-traumatique, pouvant à peine marcher, on m’amena dans une chambre en chaise roulante. Entre ces quatre petits murs dans les coloris bien connus des hôpitaux, je tentai en vain de faire une sieste, mais je fus en mesure de réaliser bien des choses. Je pensais aux professeurs qui avaient appris la nouvelle, à ma mère, à mon père, à ma très chère famille, aux gens qui avaient tout vu, à mes amies, à la mort et même à Dieu. Je me suis dit que ce qui venait de se passer était horrible, impossible à oublier, et changeant le reste de mes jours sur la route, mais qu’il s’agissait aussi de l’une des expériences les plus enrichissantes de ma vie: je vis. Et je vivrai mieux maintenant, promis.

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