Une fois, en allant au dépanneur du coin, je me suis rendue compte que quelqu’un marchait super lentement dans la noirceur.  Et comme je vois pas grand chose dû à cette chère myopie dont j’ai hérité de mes parents, je suis tombée nez à nez avec la silhouette en question.  Il s’agissait d’un gars qui se promenait à reculons en plein milieu de la rue.  Au début, je pensais que c’était une joke, qu’il allait finir par se rendre compte qu’il voyait pas pentoute où est-ce qu’il mettait un pied par terre, mais il s’est pas retourné une seule fois ni même arrêté.  D'après son regard étrange, il semblait croire que c'est tout le reste du monde qui marchait à reculons et qu'il était le seul normal.  C’était inquiétant, je l’avoue, mais pas assez pour que je puisse confirmer les dires de ma cousine, qui m’avait déjà dit que j’habitais sur la rue la plus dangereuse du quartier.  C’était une police elle-même qui lui aurait confié ça.

C’était pas à cause du petit gars qui sacrait à la caisse et qui comptait ses bouteilles de Coke pis de bières vides pour s’acheter un sac de bonbons en forme de melons d’eau, ni même le fait qu’il aurait dû être couché depuis environ quatre heures déjà ou de sa mère un peu plus loin qui gossait en arrière du comptoir pour lire les étiquettes des boîtes de condoms à l’unité. Non. C’était ma piqûre que j’avais sur le bord du coude qui me grattait que le crisse depuis deux jours. Pis celle sur ma jambe droite aussi.  Et les deux sur mon mollet gauche.  C’était quoi ça? La mère du petit gars s’est mise à m’observer de plus en plus avec une expression de quelqu’un qui vient de se rendre compte qu’il a pris une boîte de Kraft Dinner Smart au lieu de l’extra crémeux.

-«Hey, ça, c’est des piqûres de punaises de lit, ma nouère.  À ta place j’calisserais le feu à ton bloc.  Moé,  j’en ai eu v’là deux ans pis ça a été tout un calvaire m’en débarrasser, j’ai même faite une plainte à l’ONU si c’n’est pas pour te dire ».Fuck.

Je me suis mise à courir jusqu'à chez moi sous le regard désapprobateur du propriétaire qui devait se dire que lui non plus il voulait pas foutre le feu à son commerce si je partais pas bientôt de son dépanneur. Arrivée chez moi, je me mets à revirer mon matelas de tous les côtés possible afin de trouver une trace de ce fameux parasite. Je savais parfaitement à quoi m’attendre parce que j’avais dû regarder des dizaines de vidéos sur YouTube qui montraient comment les repérer (dans le noir, entre les craques, sur les tissus, dans les armoires, dans les livres, partout).  J’étais plus équipée que Ghostbuster et pourtant, je voyais rien…pas encore. Le lendemain matin, je décide d’aller cogner chez Lieutenant Dan, mon voisin d’à côté. Je l’appelle comme ça parce qu’il lui ressemble comme deux gouttes d’eau, sauf que lui, il se promène en bicycle électrique avec des speakers qui résonnent partout sur la piste cyclable du canal Lachine.  Peut-être qu’il saurait s’il y a déjà eu des antécédents de punaises dans l’immeuble, d’habitude, il est au courant de tout ce qui passe dans le quartier. Excepté la fois où il accusait le voisin d’en bas de complot terroriste.

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C’est lui le vrai Lieutenant Dan (tu te souviens maintenant?). Je sais pas pourquoi, mais j’ai vite compris que dans la tête de Lieutenant Dan, être aux prises avec ces insectes-là, c’est pire que faire partie d’Al-Qaida faut croire, parce que dès que j’ai prononcé le mot «punaise», il m’a fermé la porte au nez pis il m’a dit de m’arranger pour pas que ça descende chez lui. Faque j’ai pas niaisé longtemps, j’ai décidé d’appeler mon propriétaire, qui soit dit en passant a le profil parfait de l’ultra-mégacheap (l’hiver passé, il a attendu que le balcon d’en haut s’écroule tellement que le bois était pourri pour le réparer). Il allait m’envoyer un exterminateur dans deux semaines. Merde. Les bestioles auront le temps de procréer pis de contrôler la terre d’ici là. Savais-tu toi que les punaises de lit sortent juste dans la noirceur pour te piquer dans ton lit? Pendant 14 jours, j’ai dormi sur le plancher du salon parce que je me suis débarrassée de mon matelas pis de mon sofa, le toutes les lumières allumées, et ce, avec presque le même linge sur le dos pour ne rien contaminer. J’avais l’air de la junkie du coin sauf qu’on n’avait pas les mêmes catégories de piqûres sur les bras et qu’elle, au moins, on la fuyait pas comme la peste noire. J’étais vraiment rendue au bout du rouleau. Non pour vrai. Pis c’est en déroulant mon nouveau rouleau de papier de toilette, que j’ai enfin vu ce qui me piquait la nuit. La punaise de lit était là, à moitié morte, entre deux fines tranches de papier hygiénique, ce même papier que j’étais venue acheter deux semaines plus tôt, au dépanneur du coin. Ma cousine avait raison : ma rue, c’est la plus dangereuse.  On retrouve pas ça partout à Montréal, des dépanneurs qui explosent au beau milieu de la nuit.

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