Me voici devant ce parfait inconnu qui me fixe avec ses grandes lunettes. Il me fixe, me pose des questions réfléchies, mais je vois dans son regard son incompréhension. Comment une fille de 20 ans qui a toute la vie devant elle peut-elle se retrouver dans une chemise d'hôpital avec des espèces de collants collés un peu partout, un tube branché dans les veines et une tête à faire peur? Comment peut-elle se retrouver devant moi? Je lui fais peut-être penser à sa petite soeur, sa cousine ou sa fille. Je suis là avec lui dans une petite salle qui rappelle son bureau, mais qui fait plus pitié qu'autre chose. Je ne comprends pas trop qu’est-ce que je fais ici, je sais seulement une chose; c'est que je vais en sortir le plus vite possible, j'ai l'impression de lui faire peur. Pourquoi? Parce que je pense qu'il s'attendait à avoir une fille en pleurs, une fille qui n'est plus en contrôle d'elle-même. Je suis parfaitement en contrôle même si ma tête veut exploser.

Je ne détourne pas le regard. Je le fixe, je le laisse poser ses questions. Je visualise son incompréhension, je le fixe sans rien dire, je suis là assise sur la chaise la plus inconfortable au monde avec ma tête de fille qui a passé la pire nuit de sa vie et un parfait inconnu à qui je dois raconter tout ça et qui, en 20 minutes, va poser un diagnostic pour confirmer si je suis vraiment folle ou non. Je vous dirais qu'après avoir croisé mon ex et mon amie dans le corridor, je pense, juste à voir la manière dont ils m’ont regardée, que c'est plus eux qui avaient besoin d'aide que moi. Moi, je suis là en pleine possession de mes moyens, même si y la soirée d'hier prouve le contraire. Tentative de suicide? Psychose? Ou juste un dérapage qui a mal viré? Un coeur brisé qui crie à l'aide? N'importe quoi que mon orgueil n’a pas été capable d'avaler.

Maintenant, c'est le temps que je vide mon sac, que je me vide au complet la tête et que je raconte ma vie ou un échantillon de ma vie à ce grand monsieur et son doctorat qui va me confirmer si je suis folle ou non. Une bipolaire dépressive qui cherche l'attention comme mon père dirait, comme si j'étais le reflet de ma mère. Il y a des filles qui rendent leurs pères fiers avec leurs réussites, la meilleure danseuse de la classe, la meilleure note de la classe ou n'importe quelle réussite qui rend un père fier, mais moi je n’ai jamais vraiment eu cette chance là. Peut-être quand j'étais jeune et trop naïve pour comprendre le monde qui m'entourait, j’avais un petit côté attachant qui faisait en sorte que mon père était fier de montrer ma photo à son bureau, mais ça fait longtemps de ça, très longtemps même. Maintenant, je suis folle comme ma mère, j'ai donné exactement ce que les langues sales que je connais voulaient: la preuve que je ne valais rien de mieux qu'être internée. Même si c'était seulement pour l'espace d'une nuit, j'ai donné exactement tout ce que les gens recherchaient de moi: un moment de dérapage qui va leur donner raison, une raison de me bloquer de leurs vies et de leur entourage comme si j'apportais quelque chose de toxique, comme si j'étais seulement une personne malsaine qui cherche le drame qui va faire parler d'elle pendant qu'elle a le dos tourné juste pour l'attention.

espoir

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Qu'on le veuille ou non, ce genre de dérapage-là vient avec les millions de préjugés, même si on voulait le garder enfoui au fond du sable, on sait très bien que ça va sortir un moment ou un autre. Juste à voir la tête de mon ex, je sais qu'il l'a sûrement raconté à beaucoup trop de gens. Juste à voir ses yeux, je sais qu'il ne voulait pas mal faire, mais lui aussi a besoin d'aide et maintenant je ne suis plus apte à lui en donner. Il s’est réfugié auprès des autres en se fiant à leurs conseils parce qu'il est clairement trop déboussolé pour suivre ses propres réflexions. Je sais qu'après aujourd'hui, je n'entendrai plus parler de lui sauf pour ce qui est de la réputation qu'il va me donner parce qu'il va avoir trop d'orgueil pour montrer que je l'ai peut-être vraiment blessé. Il ne reviendra pas et c'est correct, je lui ai fait trop de mal pour qu'il revienne, on s'est trop fait de mal pour avoir encore de l'importance positive dans la vie de l'un l'autre. Je ne peux pas lui en vouloir, il a Jess à côté de lui. Même si je sais qu'elle essaie d'être forte et jouer le rôle de la maman qui va prendre soin de moi, je vois bien quelle panique en me voyant comme ça, même si elle essaie, elle ne peut pas être la mère que je n’ai jamais eue et je sais que ça la démolit de voir qu'elle n’a aucun pouvoir sur tout ça.

Ma mère, ma jumelle comme tout le monde dirait. Parce qu'on se ressemble, on dirait que ça donne un certain mérite aux gens de dire que je suis pareille comme elle, seulement parce qu'ils sont trop lâches pour réaliser qu'en vérité, on a absolument rien en commun à part notre apparence. Se fier à l'apparence d'une personne c'est un moyen pour tous les lâches de donner une certaine étiquette parce que c'est beaucoup plus facile de poser un diagnostic à une page couverture qu'en ouvrant la porte aux confidences qui définissent mieux une personne, l'important va toujours rester l'image, peu importe quelle vérité se cache en-dessous.

Maintenant, qu’est-ce qui va arriver à cette mère-la, sûrement encore trop occupée n'importe où sauf avec sa famille parce qu'on n'est plus utiles dans sa vie à part pour lui mettre des bâtons dans les roues. Ma mère, c'est tout le contraire de mon père. Autant mon père voudrait nous effacer de sa vie, ma mère est plutôt là à présenter l'image que nous proférons avec une certaine fierté de démontrer que malgré le fait qu'elle a 3 enfants de plus de 20 ans, elle paraît encore jeune. Il n'y a que l'image qui est importante dans sa vie alors j'imagine qu'elle ne criera pas trop fort ce qui m’a amenée dans cette chemise d'hôpital, je sais aussi que c'est la dernière personne que je vais appeler parce qu'elle est sûrement n'importe où sauf où elle devrait être. Elle va se réveiller une semaine plus tard en panique parce qu'elle va encore nous avoir démontré qu'on ne peut pas compter sur elle. Si je suis chanceuse, elle va peut être m'acheter un cadeau, essayer de m'acheter pour pallier à son absence en essayant de me convaincre que c'est une bonne mère, mais en vérité, ce sera plutôt pour se convaincre elle-même.

Finalement, je suis encore là devant ce grand monsieur au regard troublé qui m'écoute attentivement et qui finalement me dit «tu es seulement une fille trop orgueilleuse qui avait besoin de crier à l'aide». Il me met sa minuterie devant moi, la part et me dit «C'était seulement une question de temps avant que tu exploses. Pour la première fois de ta vie, tu ne trouvais pas de solution et tu avais trop d'orgueil pour demander de l'aide». Alors moi, je lui réponds juste que si j'avais réussi mon coup, j'aurais seulement été la pauvre fille qui s'est suicidée? Il me répond «Tu es trop solide encore pour faire ça. Quand tu vas sortir d'ici, tu vas voir, c'est juste encore un long combat qui va commencer. Il y a des choses qui vont se dire sur toi qui vont faire vibrer tous tes sens, qui vont toucher ta réputation, tes convictions. Tu vas te promener avec une certaine étiquette comme un petit animal blessé, tu vas t'imaginer plein de scénarios, comme si tu passais ton pire jour aux nouvelles de 17h. Tu vas n'avoir aucun contrôle sur les paroles qui vont se dire sur toi, tu vas perdre des gens que tu ne pensais jamais perdre et retrouver des gens que tu pensais avoir perdu. C'est un autre monde qui se retrouve devant toi: tu as le choix de te laisser écraser ou te battre, leur donner raison ou les laisser parler comme une bande de pies parce qu'on le sait, les gens aiment les drames, aiment le fait de savoir les pires secrets d'une personne seulement pour se sentir plus importants. L’espace d'un moment, tu vas faire partie du nouveau téléroman, mais comme tout bon téléroman, une autre va te voler la vedette et à ce moment-là, tu vas devoir continuer ta vie. Un seul conseil: assume-toi de A a Z juste pour te démontrer à toi-même que tu as passé à travers. L'opinion des autres est un détail comparé à l'opinion que tu as de toi-même.»

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